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Chroniques
Three lunar seas | Trois mers lunaires
opéra de Joséphine Stephenson
Pour que l’art lyrique reste un art vivant et créateur, l’Opéra Grand Avignon et son directeur Frédéric Roels ont passé commande à la jeune compositrice Joséphine Stephenson (née en 1990) d’un nouvel ouvrage, Three lunar seas, sur un livret en anglais de Ben Osborn – Trois mers lunaires (de la tranquillité, de la fertilité et de la sérénité) pour illustrer trois intrigues, ancrée dans des problématiques de notre temps, qui se déroulent en parallèle et présentent parfois certains entrecroisements.
Un couple féminin, Her et She, attend un bébé, mais le perd malheureusement à la suite d’une fausse couche. Une femme, Cynthia, veille son compagnon alité et atteint d’une maladie qui le prive de la possibilité de s’exprimer. La lanceuse d’alerte Serena s’introduit par effraction dans un complexe industriel pour prendre quelques vidéos et en dénoncer les activités polluantes, alors que The Watchman, le gardien de l’usine, se questionne sur ces mêmes activités. Donné sans entracte, cet opus d’une heure et demie déroule les trois histoires en passant de l’une à l’autre, avec des lits comme éléments de décor présents pour les deux premières histoires.
Frédéric Roels [lire nos chroniques de La bohème et de Peter Grimes] signe la mise en scène lisible et dépouillée, sur un tableau noir, dans une scénographie que Dori Deng réduit à l’essentiel : un rideau à mi-plateau séparant deux espaces et laissant entrevoir, en transparence à l’arrière, un anneau lumineux qui représente la lune, omniprésente, et parfois les choristes en perruques blanches, de la même couleur que les costumes peu seyants conçus par Lionel Lesire. Sur ce rideau est projeté, par moments, le texte chanté par les choristes – les ondulations du tissu rendent les mots illisibles –, ainsi que quelques illustrations vidéos, comme l’industrie polluante qui a des allures de plate-forme off-shore.
S’écoutant facilement, la musique tonale de Stephenson est écrite pour un orchestre plutôt fourni, avec piano et renfort de percussions. Le flot sonore semble avancer sans heurts particuliers, sans cassures de rythme, en montant vers certains courts climax mais, à vrai dire, sans grandes surprises ni mystère, malgré les ambiances particulièrement pesantes des sujets ici traités. Placé sous la direction musicale très précise de Léo Warynski – un chef souvent à l’œuvre dans le répertoire contemporain [lire nos chroniques d’Aliados, Giordano Bruno, La Passion selon Sade, Méliès redécouvert, Akhnaten, Requiem et Nuits] –, l’Orchestre national Avignon-Provence la sert au mieux.
Le couple féminin est interprété par les voix épanouies et musicales du soprano Eduarda Melo (Her) et du mezzo Jess Dandy (She), quelques notes très tendues dans l’aigu en limite de cri pour la première [lire nos chroniques de Carmen à Lille, Ippolito, Il barbiere di Siviglia et Cendrillon] et de sombres résonances moirées pour la seconde. Habituellement distribuée dans le répertoire belcantiste, on retrouve également Patrizia Ciofi (Cynthia) dans cette création, chanteuse toujours en maîtrise de ses beaux moyens lyriques, ainsi qu’interprète émouvante dans ses interventions [lire nos chroniques de La traviata à Orange, Tancredi, Les contes d’Hoffmann, Manon, Hamlet, Les Huguenots, I Capuleti e i Montecchi, Viva la mamma, La clemenza di Tito, Heart chamber et Lucia di Lammermoor à Marseille puis à Tours]. Anas Seguin (Midwife, Watchman) projette fermement sa voix de baryton [lire nos chroniques de Don Carlo, Le nozze di Figaro, Carmen à Toulouse, La traviata à Paris, Der Freischütz, L’amour des trois oranges et Faust], tandis que Kate Huggett (Serena) s’exprime avec un micro. Bonnes prestations, également, des artistes du Chœur de l'Opéra Grand Avignon, et réception très favorable du public à l’issue de cette première des deux représentations programmées.
IF