Chroniques

par cecil ameil

Thomas Quasthoff chante Mozart
Gottfried von der Goltz dirige le Freiburger Barokorchester

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 14 mars 2005
le chef et violoniste Gottfried von der Goltz photographié par Peter Kanneberger
© peter kanneberger

Invité chaque année à Bruxelles depuis 1998, le Freiburger Barockorchester s’y produit cette fois avec le baryton-basse allemand Thomas Quasthoff, reconnu comme un modèle d'exigence artistique. Rigueur, expressivité et musicalité sont les soucis premiers de cette star du classique, et l'on peut sans aucun doute en dire autant de l'orchestre, également très perfectionniste.

Le programme de ce lundi est entièrement consacré à Mozart, avec des pièces pour orchestre qui convoque ou non la voix. À la tête d'une trentaine de musiciens dont une dizaine de violons, trois violoncelles et deux splendides contrebasses qui trônent à gauche de la scène, Gottfried von der Goltz entame la soirée, depuis son pupitre de premier violon, avec l'Ouverture de Don Giovanni. D’emblée l’on est saisi par tant de vivacité alliée à une chaleur et une musicalité hors pair. L'approche baroque est sans concession à la puissance expressive, aucune légèreté ou faiblesse : c'est extrêmement dynamique sans jamais durcir ou forcer, et d'une précision étonnante.

L'entrée en scène de ce chanteur est toujours un événement – ce qui n'a d'ailleurs pas grand-chose à voir avec la musique elle-même et pourrait susciter de légitimes inquiétudes quant à l'attrait qu’il exerce sur le public (salle archicomble). Vient-on bien ici pour la musique ? Si la réponse est positive, c’est vraiment sans déception, alors. Thomas Quasthoff démarre avec le fameux air du catalogue (Leporello dans Don Giovanni), ce qui, pour n’être guère original, n’en séduira pas moins un large public. Il s'y montre instantanément à l'aise, faisant preuve d'une grande expressivité et d'une impressionnante maîtrise vocale.

S’ensuit Così dunque tradisci K.432, air pour basse qui témoigne de l'immense concentration de l’artiste, très présent même dans l'introduction d’orchestre (il danse dans la pulsation des instruments). On peut émettre des réserves sur le choix de l'œuvre qui convoque extrême-bas que cette voix possède assez étroit, ce qui est d'autant plus patent que par ailleurs la tessiture s’avère d'une grande homogénéité. Reste que l'articulation jamais n’est prise en faute, pas plus que les intentions, parfaitement déclinées. Faisant l'impasse sur Idomeneo, l'orchestre clôt la première partie avec Thamos, König in Aegypten K.345, une musique de scène dans laquelle il affirme une nouvelle fois preuve sa grande musicalité, alliée à une extraordinaire exactitude.

Le Freiburger Barockorchester lance la seconde partie avec laSymphonie en ré majeur « Parisienne » K.297 n°31 où se confirme sa maestria totale : rythme, phrasé, dynamique, tout est splendeur, malgré un Andante peu excitant – il fut d’ailleurs l’ objet de controverse, à sa création. Thomas Quasthoff réapparait pour Per questa bella mano K.612, air censé refléter un différend entre Mozart et un contrebassiste épris de sa femme Constanze (dixit le chanteur lui-même qui ne se fit pas prier pour apporter cette précision à un public évidemment friand d'anecdote). Il est clair que le dialogue entre la voix et la contrebasse, placée pour la circonstance à l’avant-scène, trahit un véritable asservissement de l'instrument à la musique dans un jeu de gammes et d'arpèges ô combien périlleux. Le soliste Love Persson s’acquitte fort bien de cette tâche difficile.

Retour à l'orchestre avec une interprétation gracieuse de l'Andante (dernier mouvement) de la Sérénade en ré majeur « Haffner » K.250 (dernier mouvement). Les violons s’y montrent souverains dans multiples variations où incroyablement palpable s’affiche la pulsation. Pour finir, Mentre ti lascio, o figlia K.513 donne toute la mesure de la combinaison d'un soir : sans heurt ni exagération, Thomas Quasthoff caresse la musique avec une assurance tranquilles qui force l'admiration. Particulièrement aérien, l'ensemble est parfaitement conduit.

En bis, l'air de Sarastro (Die Zauberflöte) confirmera le niveau des artistes. La voix délivre tout son grave avec une évidence saisissante, et l'orchestre demeure décidément sans faille, d’un bout à l’autre.

CA