Recherche
Chroniques
The importance of being Earnest | L'avantage d'être Constant
opéra-comique de Gerald Barry
Au terme de la première de sa pièce The importance of being Earnest, le 14 mai 1895, au St James’s Theatre de Londres, la carrière et la vie d’Oscar Wilde (1854-1900) basculent. La comédie en trois actes – un formidable bol d’air frais, anti-conventionnel et spirituel au delà du bon sens –, entame son immense succès artistique, à la fois critique et populaire. Mais dans le même temps, à titre personnel, l’auteur décide de déposer, contre le sanguin marquis de Queensbury qui l’a provoqué sur la place publique au sujet de son homosexualité, une plainte en diffamation qui aura des conséquences désastreuses.
Compatriote du dandy dublinois, Gerald Barry (né en 1952, dans le comté de Clare) aime à s’inspirer des grands auteurs du XXe siècle. Ainsi de Strindberg, dont il adapta en opéra de chambre le terrible drame La plus forte (2007), offrant alors son plus beau rôle au soprano Barbara Hannigan. Encore plus puissant, d’une sauvagerie et d’une brutalité rares à nos oreilles, revoici en France The importance of being Earnest, opéra-comique dont la création mondiale eut lieu en 2011 à Los Angeles, et la première française à Nancy en 2013. L’œuvre marque une nouvelle avancée dans le parcours d’un compositeur adepte des commandes audacieuses, dont la plume abonde de références (ici Beethoven et Schönberg, notamment) et de vivacité, au point de prendre le risque de passer la pièce originale au presse-purée.
« Oscar Wilde avait anticipé le théâtre du nonsense de Beckett et d’Ionesco... La partition de Gerald Barry ajoute du nonsense au nonsense », prévient la note d’intention de mise en scène. Soucieux d’un bon timing, Julien Chavaz dirige des personnages beckettiens pour offrir une farce d’une créativité mordante, incluant un frigo parlant, un drôle de duel au mégaphone, une bonne centaine d’assiettes brisées en rythme, etc. L’humour paraît donc plus brutal que chez Wilde. Mais que reste-t-il des bons mots et de la satire sociale ? De l’aveu même du compositeur, deux tiers du texte ont été coupés. Les dialogues semblent désossés, mais aussi heureusement revisités avec une énergie folle par les chanteurs, à travers force mimes et danses, ainsi que par l’Orchestre de chambre fribourgeois, dirigé par Jérôme Kuhn, qui poussent les dissonances les plus osées, les coups de klaxon et autres charmantes farces et attrapes (ping-pong sonore, beat techno, mélodie puérile) jusqu’au bord de la pénible cacophonie lors du dénouement.
Cette performance-limite est le fruit d’une production du Nouvel Opéra Fribourg, généreuse pour les détonants décors d’Yves Besson et les costumes de Séverine Besson, également créditée à la scénographie. Les premiers apparaissent comme tapissés de motifs écossais vert-pomme ou rose-tendre et les seconds recouverts d’un nappage de pâte d’amande, dans les mêmes tons de confiserie pastel. Le spectacle essore les voix et les corps sur scène dans un registre largement contemporain – retenons le joyeusement rebelle et trivial Algernon assuré par le baryton Ed Ballard, sa ravissante cousine Gwendolen aussi bien articulée qu’émotive campée par le mezzo Nina van Essen, l’impressionnant soprano hérissé et gracile d’Alison Scherzer (Cecily), le ténor Timur Bekbosunov en Jack lyrique et volontaire, la touchante sensibilité du baryton Vincent Casagrande (Lane), la belle caricature de bourgeoise par le mezzo Jessica Walker (Miss Prism) et l’abattage dantesque de la basse Graeme Danby (Lady Bracknell) –, mais il procure, par une densité musicale souvent effarante, plus d’un plaisir instrumental particulier, par exemple (pour premiers sons clairs et distincts) l’introduction expérimentale au piano, comme fracassé, qui, dans le noir complet, résonne profondément grâce au talent de Stéphanie Gurga.
FC