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Chroniques
Stockhausen par Gottlieb et Godard
Klavierstücke – Tierkreis – La Chinoise
Puisque Karlheinz Stockhausen se partage la bande son de La Chinoise avec Schubert et Vivaldi – mais aussi avec L'Internationale et la chanson de variétés Mao Mao –, c'est lui que Jay Gottlieb choisit de jouer en première partie de soirée. Stockhausen, Godard… Le pianiste trouve les spectateurs « fichtrement motivés » de se déplacer pour un tel programme et signale quelques repères pour (re)découvrir les pièces qui vont suivre : l'importance des recherches sur le temps et le timbre dans les années d'après-guerre, l'envie de retrouver avec l'instrument acoustique l'espèce d'imprévisibilité inhérente au son électronique, ou encore la notion de Momentform. Sur le clavier du Fazioli, des nombreux Klavierstücke composés à partir de 1952 sous l'influence des Mode de valeurs et d'intensités de Messiaen, c'est le septième (1955) qui est d'abord joué, en un geste vif mais sans sécheresse, des piqués moelleux et un final délicatement perlé. Lui succède le neuvième (créé en 1962, après sept années de gestation, par Aloys Kontarsky), dont la répétition d'accords initiale est livrée avec nuance, avant de se poursuivre avec un nerf non dénué de lyrisme.
En 1974-75, le futur créateur de Licht compose Tierkreis, d'après les douze signes du Zodiaque. Écrite à l'origine pour des boîtes à musique, l'œuvre est ensuite éditée sous différentes formes : pour soliste, pour clarinette et piano, pour trio (clarinette, flûte et piccolo / trompette / piano), pour orchestre de chambre. Comme il en existe également plusieurs pour voix et instrument harmonique, Gottlieb choisit la version pour baryton. Le pianiste fait se succéder les différentes étapes de ce voyage parmi les constellations : Aquarius au mouvement de balancier, Pices fluide et heurté, Aries bondissant voire fougueux, Taurus autant paisible que recueilli, Leo majestueux et martial, etc. jusqu'au Capricorn qu'on dirait sifflotant.
Les anecdotes du soliste nous préparent au ton de la fin de soirée. Témoin du climat de révolte latente existant en 1967, année de sa sortie, le film de Jean-Luc Godard est en effet un patchwork visuel et sonore où fusent des phrases drôlissimes – « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? - Parce que je n'existe pas » et les comparaisons les plus osées – le Club Med avec les camps de concentration. Les références à l'actualité politique ou culturelle se bousculent dans la bouche des jeunes liseurs de Tsé-toung ou sur les murs de l'appartement qu'ils partagent le temps d'un été : Brecht, Dovjenko, Eisenstein, Fellini, Malraux, Malcolm X, Méliès, Planchon, Ray, Rivette, Shakespeare, Strehler, etc. L'image d'une naïve paysanne qui fait le ménage chez ces défenseurs du peuple amorce la critique d'idéalistes endoctrinés contre lesquels le philosophe Francis Jeanson mène en douceur la charge finale : s'il n'est pas soutenu par la masse, le révolutionnaire n'est qu'un terroriste. Que l'étudiante Véronique se trompe de personne à abattre nous le prouve avec humour.
LB