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Chroniques
soirée Mozart et Rossini
Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris
Ambiance des grands soirs au Palais Garnier… les jeunes solistes de l'Atelier Lyrique se produisent devant public venu nombreux dans un concert composé d'une série d'airs de Mozart et de Rossini. Dans l'assistance on note la présence de plusieurs chefs et directeurs d'ensembles qui ne cachent pas leur plaisir à venir découvrir des voix qu'ils seront peut-être amenés à diriger un jour, bien que certains de ces artistes se soient déjà produits à plusieurs reprises sur certaines scènes internationales.
Le format de présentation est relativement classique et somme toute « cruel » pour ces jeunes chanteurs invités à défiler chacun leur tour devant un parterre exigeant. Antony Hermus [photo] dirige l'Orchestre de l'Opéra national de Paris sur la scène, ce qui ne facilite pas le contact visuel avec les solistes et augmente chez certains le stress inévitable d'un tel exercice.
Le premier à se lancer dans l'arène est le ténor ukrainien Oleksiy Palchikov dans le redoutable Dies Bildnis ist bezaubernd schön de Tamino au premier acte de La flûte enchantée. Pour faire oublier les conventions d'usage, il chante en tenant dans ses mains un portrait censé être celui de Pamina dont il découvre pour la première fois le visage. La concentration sur la justesse est remarquable, même si la tension et la netteté du timbre manque pour le coup de chaleur. Les changements de registres « à vue » ont le mérite de n'être pas escamotés et sa prestation recueille le succès qu'elle mérite. Toujours très théâtral dans sa présence sur scène, le jeune Pietro di Bianco salue l'assistance d'un clin d'œil malicieux et entame le fameux Madamina… que récite Leporello à Donna Elvira. Au milieu de l'air, il n'hésite pas à sortir de la poche de son veston le fameux « catalogo » de Leporello qui se déplie en tombant, au grand plaisir du public. La caractérisation assez buffa maintient la voix dans des couleurs sans faux-semblants et en toute bonhomie. La projection est moyenne mais ne cherche pas à entamer les réserves pour n’y pas laisser sa (forte) personnalité.
L'air d’Idamante (Il padre adorato, dans Idomeneo) est interprété avec grâce et conviction par le mezzo-soprano polonais Agata Schmidt. Le vibrato dramatique est projeté à froid, mais elle se sort bien de la périlleuse loi qu’impose cette présentation anthologique et sans enchaînement. En brusquant le tempo à de nombreuses reprises, Antony Hermus ne lui facilite pourtant pas les choses, l'obligeant à sortir de sa ligne et à projeter ses ornements sans filet.
Premier des deux sextuors de la soirée, la scène du quiproquo de l'Acte II de Don Giovanni exige des qualités de jeu et de cohésion. Le Leporello déguisé d'Andriy Gnatiuk est moins à l'aise avec sa belle voix de basse que dans l'air des Noces qui vient juste après. Il campe un serviteur assez fier et peu plébéien. Face à lui, c'est certainement Tiago Matos qui semble scéniquement et vocalement le plus à l'aise dans le rôle de Masetto. Le Don Ottavio de Kévin Amiel manque de puissance et les voix féminines – Armelle Khourdoïan (Zerlina) et Olga Seliverstova(Donna Anna) – sont trop corsetées, surtout en comparaison d'Élodie Hache, plus détendue dans le registre grave.
João Pedro Cabral est un ténor à la ligne vocale raffinée, même si la personnalité manque du « mordant » qui lui permettrait d'aborder des rôles plus lourds. Son Il mio tesoro que Don Ottavio chante à son amoureuse est dimensionné à l'aune de ce caractère tendre et affable. Andriy Gnatiuk lui succède dans Non più andrai de Figaro : il ne manque ni d'abattage ni d'assurance. Une si belle prestance que lui envierait la charmante Olga Seliverstovadans le très difficile Crudele ! Non mi dir’ de Donna Anna : les aigus se brisent à des moments stratégiques, malgré les qualités évidentes qui devront encore mûrir pour s'exprimer pleinement.
La seconde partie débute par l'air de Sesto (Parto, parto, dans La clemenza di Tito). La jeune Sicilienne Anna Pennisi est remarquable de tenue et d'engagement. Elle réussit à nourrir à l'intérieur du timbre des registres pourtant très sollicités. Satisfecit également pour l'air du Comte, Ha già vinta la causa !, par le baryton Tiago Matos. Bien posée dans les graves, l'émission est saine et fort résonante, en parfaite décontraction face au public. Des deux extraits de Cosi fan tutte, on préfèrera au trio l'air de Fiordiligi, Ei parte… Per pietà, chanté avec brio par le talentueux soprano roumain Andreea Soare. Le medium souple et effilé fait ici merveille. Les aigus sont libérés avec beaucoup d'aisance, avec l'avantage non négligeable de ne pas compromettre l'intelligibilité.
Armelle Khourdoïan inaugure la série rossinienne avec l'air de la Comtesse Adèle dans Le Comte Ory (En proie à la tristesse...). Le phrasé délié se joue du format modeste de la projection, mais au final c'est une bonne impression qui demeure – surtout du fait que la couleur est très séduisante. Fébrile dans le sextuor de Don Giovanni, Kévin Amiel réussit partiellement à tromper son monde dans le Cujus animam du Stabat Mater. Jusqu'alors prisonnière dans le masque, la voix se libère enfin et laisse entrevoir un volume appréciable. Élodie Hache maîtrise son grand air de Semiramide (Serena i vaghi rai.... bel raggio lusinghier) ; sa prestation rejoint les moments les plus marquants de cette soirée. La diction châtiée s'accorde à une tessiture nacrée fort souple et agile dans les changements de registres.
Place enfin au dernier sextuor, extrait du final de Cenerentola. La virtuosité verticale est ici moins exposée, au bénéfice de l'imbrication compliquée des syllabes, assonances et allitérations. Même si le jeu est limité par l'étroitesse du proscenium et réduit à une présentation en rang d'oignons, les jeunes solistes tirent brillamment leur épingle de cette comique pelote de mimiques et de gestes. Anna Pennisi confirme l'étendue de ses moyens, tout comme les deux sœurs Agata Schmidt et Armelle Khourdoïan. João Pedro Cabral est un prince poli et affable ; face à lui, Pietro di Bianco a le bon goût de ne pas surjouer la basse bouffe. Triomphateur discret – son rôle de Dandini est bien trop modeste –, Tiago Matos se paie le luxe d'accompagner par la jonglerie ses entrelacs de notes.
DV