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Chroniques
soirée Luigi Nono
conférence, concert et portrait
Depuis septembre dernier, le Festival d’Automne à Paris rend largement hommage à Luigi Nono (1924-1990), « maître des sons et des silences » [1], en programmant des œuvres acoustiques (Canti di vita e d’amore : Sul ponte di Hiroshima, malheureusement annulé par la grève du personnel de Radio France, « Hay que caminar » soñando), électronique (Für Paul Dessau) ou, pour la majorité, brassant les deux techniques (Risonanze erranti, Omaggio a György Kurtág, Como una ola de fuerza y luz).
En attente du Prometeo prévu à la fin de 2015, cette soirée s’avère le point d’orgue de la présente saison. Elle débute par une présentation du compositeur engagé dans des années soixante et soixante-dix propices à l’éclosion de nombreux nationalismes, partout dans le monde. Interrogé par Lionel Esparza, le musicologue Laurent Feneyrou (traducteur et éditeur des écrits de Nono) évoque successivement le Vietnam, l’Amérique du Sud (avec un arrêt sur Fidel Castro, dont le compositeur enregistra la voix), l’Afrique confrontée à la décolonisation (Angola et Congo, notamment), mais aussi l’Occident où s’organisent les mouvements étudiants et ouvriers (Milan en 1965, puis Paris, etc.). L’artiste voit toutes ces injustices en adepte de la « resistenza » (obstruction au fascisme) et, malgré celles qu’engendrent Moscou à son tour (Hongrie, Tchécoslovaquie, etc.), conserve son adhésion au Parti Communisme Italien (de 1952 à 1990). Pour l’auteur de La fabriqua illuminata, la lutte doit être de masse : lutter pour la liberté rend libre. Sans oublier son métier de musicien, l’utopiste acharné confie à la revue vénézuélienne Rocinante, en 1969 :
« étudions, apprenons et choisissons, en sujets historiques, les techniques contemporaines qui, dans le domaine musical, peuvent contribuer à la libération psychophysique de l’homme socialiste d’aujourd’hui. Si une partition ne peut pas provoquer ou susciter une révolution, elle peut y contribuer, en participant à l’hégémonie intellectuelle et révolutionnaire » (Entretien avec Luigi Nono, in Écrits, Éditions Contrechamps, 2007) [lire notre critique de l’ouvrage].
S’en suit une écoute de Ricorda cosa ti hanno fatto in Auschwitz (Souviens-toi de ce qu’ils t’ont fait à Auschwitz, 1966), courte pièce tirée d’une musique de scène pour Die Ermittlung (L’instruction), un spectacle de Peter Weiss mis en scène par Erwin Piscator. Le dramaturge n’y convoquait pas encore les figures de Marat, Sade et Trotski mais celles de fonctionnaires du camp de concentration dont le procès venait de se dérouler à Francfort (1963-65). Avec sa dimension chorale et ses explorations métalliques, cette bande magnétique mono sur quatre pistes est un prélude idéal à l’œuvre suivante, laquelle nécessite cinq plaques de cuivre (avec fourchettes, chaînes et marteaux), trois acteurs et un soprano.
C’est peu dire qu’A floresta é jovem e cheja de vida (La forêt est jeune et pleine de vie, 1966) suit les traces d’Intolleranza 1960 [lire notre critique du CD] et annonce Al gran sole carico d’amore (1975) [lire notre chronique du 9 mai 2004]. Giovanni Pirelli fournit au musicien des pensées politiques récentes (1959-65), trouvées chez des anonymes (guérillero, ouvrier, etc.) et des chefs de file renommés (Castro, Fanon, Lumumba), pour évoquer « le drame quotidien » qu’engendre la dictature, et en particulier celui du FNL vietnamien, dédicataire de l’ouvrage – les deux textes de la bande-son mettent directement en cause le militarisme nord-américain. La clarinette tranquille de Paolo Ravaglia et le grand souffle de Maria Chiara Chizzoni se distinguent dans une pièce globalement violente – d’autant que le volume des haut-parleurs ne ménage pas les oreilles sensibles ! Au sortir de l’entracte, le film d’Olivier Mille, Archipel Luigi Nono (1988), retrouve le ton informatif du début de soirée.
LB
[1] inscription sur la plaque de la maison du Zattere (Venise) où le compositeur naquit et mourut.