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Chroniques
Seventh Heaven | L'heure suprême
film de Frank Borzage – musique de Timothy Brock
« C’est vraiment une belle œuvre... avec beaucoup de moments d'ambiance, et cela dit sans rien de péjoratif. On est souvent dans une espèce d'intermède... La musique est assez parlante et très riche harmoniquement. » Ces impressions de la violoniste Hélène Collerette, super-soliste de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, semblent vouloir maintenir intact le mystère dans lequel public et interprètes baignent après la projection de L'heure suprême (Seventh Heaven, 1927). Rien de tel pour illuminer un dimanche gris que ce ciné-concert à la Maison ronde, temple consacré, le temps d'un week-end, à la musique de film et gardé comme la mémoire vivante du cinéma par l'auteur et président de l'Institut Lumière (Lyon), Bertrand Tavernier.
Simple histoire d'amour d’un couple modeste dans un Montmartre de carton-pâte, le mélodrame de Frank Borzage, Seventh Heaven, couronné de trois Oscars, flotte dans un fascinant clair-obscur photographique, remarqué par André Breton et les Surréalistes, ainsi qu’entre l'expressionnisme et le grand optimisme américain, comme le mentionne Timothy Brock (brochure de salle), compositeur de la nouvelle bande originale qu’il dirige lui-même cet après-midi [lire nos chroniques du 27 octobre 2017, du 24 octobre 2006 et du 6 décembre 2005] – commande de la Cineteca di Bologna et de Radio France, ici donnée en création française. Au brumeux crépuscule du muet, la musique devance les mots, belle à en tomber amoureux lorsqu'elle dévoile, de harpe en flûte, le visage de l'actrice Janet Gaynor, jeu bouleversant dans un rôle qui l’est autant. À l'opposé, la vilaine sœur, plus méchante que toutes les sorcières réunies, respire la violence universelle scandée par de sombres accords. Le moteur de l'existence tient, au fond, en une vaillante marche du courage, lancée comme étincelle au pas vaillant et au sourire généreux du brave égoutier, l'athlétique Charles Farrell. La phrase musicale revient quelques fois, s'étoffe encore pour presque devenir un thème alla John Williams mais, outre les légers parfums d'aventure, épiques ou humoristiques, et des mélodies poignantes confiées aux violons dans les scènes d'amour, typiques du divertissement américain, la partition impressionne de deux manières originales, en rapport avec l’intrigue.
Par son grand sens du rythme et de l'orchestration, l’œuvre de Brock respecte les éléments surnaturels encadrant ceux de la vie des personnages (eaux des égouts, airs des rues et de la mansarde, éclairages de la nuit, des pavés, etc.). Au croisement des scènes, l'argument évolue parfois sur plusieurs degrés grâce à de solides seconds rôles. Captivant, l'orchestre se fait le luxueux et amical complice du spectateur emporté par le drame, et le saisissant pinceau de la peinture de deux solitudes convergentes, traversée par celle de la Première Guerre mondiale (incluant l'épisode des taxis de la Marne). L'autre noble intention de Timothy Brock est le souci de réalisme sonore. Coups de fouet, de klaxon, café en ébullition... L'expression musicale embrasse largement les sentiments et, encore mieux peut-être, ce que la langue du cinéma moderne ne saura confesser.
FC