Chroniques

par bertrand bolognesi

Serse | Xersès
opéra de Georg Friedrich Händel

Opéra de Rouen Normandie / Théâtre des arts
- 12 mars 2023
à l'Opéra de Rouen Normandie, une nouvelle production de SERSE d'Händel
© marion kerno

L’Opéra de Rouen Normandie poursuit sa saison (par ailleurs mise en péril par les restrictions financières officielles) avec une nouvelle production de Serse d’Händel, composé sur un livret largement fréquenté et modifié au fil du temps, puis représenté à Londres au printemps 1738 sans rencontrer de succès. En collaboration avec l’Opéra de Nuremberg (Staatstheater Nürnberg) où le spectacle fut montré en 2018, la maison fit appel au tandem Clarac & Deloeuil, soit Le Lab, qui, avec la complicité de Julien Roques pour la création graphique et pour la vidéo cosignée par Benjamin Juhel, ainsi que de Rick Martin pour la lumière, réalise décor, costumes et mise en scène, dans l’inventivité et la fantaisie qu’on lui connaît [lire nos chroniques du Diable dans le beffroi, de Peer Gynt, Die sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze et Ariadne auf Naxos].

Filmée sur les quais et dans les rues de Rouen, une brigade de skateurs rythme d’anecdotiques pérégrinations, dont il est très esthétiquement témoigné, une intrigue dans le goût baroque, c’est-à-dire copieusement alambiquée, sur laquelle il ne servirait à rien de s’obstiner à s’appuyer sans distance. Outre d’entendre plusieurs interviews des jeunes gens autour de leur hobby, des défis qu’il leur lance mais encore de la sociabilisation induite, de les voir parfois en gros plan sur le vaste écran délimitant tout le haut de scène, encore abordons-nous la vie à la cour perse, non pas au Ve siècle av. J.-C. comme indiqué, mais à travers les tribulations amoureuses d’un caïd et de son petit frère, soit Serse et Arsamene. L’univers du skateboarding se prête idéalement au jeu, sur le plateau comme sur la toile, générant des situations souvent justes, parfois cocasses, dont personne ne se lasse. Quoique seria, l’ouvrage y gagne volontiers une vis comica bien venue dont il n’est toutefois pas fait d’usage trop abusif.

À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie qui, pour l’occasion, s’exprime sur boyaux et qu’on a pourvu d’un théorbe, d’une copie de basson ancien et de clavecins, David Bates, chef spécialisé dans le répertoire baroque et fondateur de l’ensemble La Nuova Musica, insuffle avec adresse aux musiciens la grammaire adéquate. S’il lui manque bien des subtilités d’articulation, le résultat ne fait point pâle figure, la saine vivacité de l’approche, toujours parfaitement à l’écoute de l’équipe vocale, se révélant un avantage certain.

Gentiment investie dans le théâtre sans quitter pour autant une légèreté qui ne fait pas de drame là où il n’est plus guère de mise d’en voir, la distribution ici réunie convainc aisément. On y applaudit la basse robustement timbrée de Riccardo Novaro, Elviro attachant (Chi vuol fiora di bella giardina simplement exquis) [lire nos chroniques d’Il Turco in Italia, Le nozze di Figaro, L’Italiana in Algeri à Lausanne et à Bordeaux, Giulio Cesare in Egitto à Nancy, Lausanne et Toulon, Agrippina, Don Giovanni et L’incoronazione di Dario]. Le baryton-basse chaleureux et précis Luigi De Donato campe un Ariodate à l’évidente bienveillance. Bonne musicienne, Cecilia Molinari dispose d’un mezzo-soprano melliflu qui met en valeur le rôle d’Amastre, l’amante trahie [lire nos chroniques du Siège de Corinthe, de La clemenza di Tito et Demetrio e Polibio]. D’une couleur fort sensuelle et bonne alliée du personnage tel que vu par les maîtres d’œuvres, Sophie Junker (soprano) prête à Atalanta un timbre généreux et un chant en net progrès quant à l’intonation, aujourd’hui presque toujours fiable [lire nos chroniques de Die lustigen Weiber von Windsor, La divisione del mondo et Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem]. Remarquablement impactée, doté d’une souplesse enchanteresse qui autorise une vocalité où le compositeur a convoqué quelque extravagance, le soprano norvégien Mari Eriksmoen incarne une Romilda presque aérienne qui fait merveille [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Szenen aus Goethes Faust, Die Schöpfung, du Requiem de Mozart à Salzbourg puis à Paris, enfin de Fidelio]. Enfin, il revient à l’excellent Jake Arditti de s’illustrer dans la partie de Serse où, une nouvelle fois, le contreténor affirme un art indéniable, une présence efficace et une technique à toute épreuve grâce à laquelle il peut orner les arie avec une réjouissante évidence [lire nos chroniques de Tres Canciones lunáticas, Cuerdas del destino, Agrippina, L’incoronazione di Poppea et Alessandro nell’Indie].

Manquerait-il quelqu’un ? Une charité bien naturelle invite à considérer que non. Admirons bien plutôt les drapeaux contemporains, entre Asie Mineure et Grèce, de part et d’autre des Dardanelles… et le souvenir de ce bon moment s’en trouvera d’autant mieux préservé.

BB