Chroniques

par bertrand bolognesi

Schubertiade d’Angelika Kirchschlager
Paul McCreesh à la tête du Kammerorchester Basel

Salle Pleyel, Paris
- 26 novembre 2010
Angelika Kirchschlager chante Schubert à la Salle Pleyel (Paris)
© lukas beck

Une fois n’est pas coutume : c’est un Liederabend avec orchestre que propose le mezzo-soprano autrichien Angelika Kirchschlager, une soirée plus particulière encore puisque les mélodies programmées ont été orchestrées par d’autres mains que celle du compositeur. Il y a trois ans, le bassiste et jazzman Bren Plummer livrait ses arrangements – qui s’inscrivent dans la tradition postromantique, pas d’inquiétude… – de quelques Lieder de Franz Schubert, tout spécialement conçus pour la chanteuse. Ainsi entendra-t-on ici sa version de trois Goethe Lieder.

De Geheimes D719 donnée dans une espièglerie contenue par une voix qui nuance remarquablement, l’on aborde le douloureux – et ô combien voluptueux toutefois, dans cette douleur même, soulignée par une crudité de cordes parfaitement d’à-propos – Rastlose Liebe D138 de 1815, que le mezzo préserve sainement de toute plainte excessive, puis le féroce Heidenröslen D257 un peu plus théâtral. En 1951, le compositeur et harpiste berlinois Kurt Gillmann a transcrit dans une veine straussienne le célèbre Ganymed D544, lui aussi d’origine goethéenne ; on en goûte l’innocent érotisme dont la voix laisse l’expression aux motifs instrumentaux.

En 1914, le Bavarois Max Reger s’attelait à l’adaptation d’une quinzaine de Lieder de Schubert, comme pour se reposer du tout récent achèvement de ses quatre grands Tondichtung inspirés des toiles d’Arnold Böcklin. C’est d’un aigu précautionneux que la chanteuse-diseuse mène An die Musik D547, pour ouvrir ce concert. Le choix de Reger se porte assez évidemment sur Beethoven quant à la couleur de l’orchestre, un choix radicalisé plus encore par l’inflexion que lui donne Paul McCreesh à la tête de l’excellent Kammerorchester Basel , proprement mozartienne. Le motif obsessionnel d’Erlkönig D328 se perd ensuite dans l’épaisseur, au point d’atténuer l’impact dramatique du plus fameux lied schubertien. Aussi le retrouvera-t-on dans la voix seule, diablement expressive, caractérisant chaque personnage sans les caricaturalement accuser, dessinant bientôt la panique des mein Vater de la sixième strophe, l’insidieux danger de la septième avec ses doucereux ich liebe dich jusqu’au saisissant frissonnement de l’évidence finale, la brutale apnée das Kind war tot. Pour finir, McCreesh profite de l’attaque lointaine et progressive imaginée par Reger – un avantage incontestable, dans ce cas précis, sur la mécanique limitée du piano, quand bien même s’agirait-il d’un pianoforte – pour les premières mesures de Du bist die Ruh D 776. Lui répond l’irrésistible intimité de ton choisie par Angelika Kirchschlager pour conclure dans une serine émotion cette première partie de soirée.

Ayant introduit le concert par Die Zauberharfe D644, l’Ouverture de Rosamunde, dans un phrasé soigneusement articulé, ciselant le dialogue des vents, précieusement colorés, sur la vive tonicité des cordes, les musiciens bâlois ponctuent la schubertiade par l’Entracte du troisième acte de la même musique de scène pour le mélodrame de Wilhelmine von Chézy, un Andantino allant fermement son pas et doté d’un fort beau trait de clarinette. Et c’est encore à cette même princesse de Chypre qu’empruntait le bis d’Angelika Kirchschlager, avec la méditative romance Der Vollmond strahlt auf Bergeshöh'n.

Si, de l’exécution de la Symphonie en ré majeur Op.73 n°2 de Johannes Brahms, l’on saluera la ciselure délicate, révélant l’évidence de cordes beethoveniennes dans leurs errements harmoniques, la superbe des cors haydniens, tout en accordant au compositeur lui-même le maniérisme appliqué dans lequel il lui plut de ressasser jusqu’à la verbeuse paresse musicale le plus digne ses moindres élans, se retiendra également la clarté jamais sottement grandiloquente d’une version inhabituellement dégraissée, imposant l’image d’un Brahms tragiquement rubophobe.

BB