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Chroniques
Scènes de chasse
opéra de René Koering
On attendait naïvement des murailles blanches et du sable blond, mais la proposition de Georges Lavaudant sur l'épisode imaginé par Kleist – Penthesilea et ses chastes Amazones, en quête de leur amant d'un jour, viennent semer le désordre dans les rangs des combattants grecs et troyens – nous entraîne au plus près de la tanière de Mime, ou peut-être du Wannsee sur les bords duquel, le 21 novembre 1811, le poète allemand tira un premier coup de pistolet dans le cœur de sa compagne avant de retourner l'arme contre lui.
« La scénographie, que nous avons voulue simple,explique le metteur en scène, représente une voûte formée par de grands arbres puissants, comme dans un sous-bois : à la fois puissance d'enfermement et instance protectrice, espace de rêve et de l'inconscient propre au romantisme allemand et dont la forêt est comme l'emblème ». Très sombres, les premières minutes laissent à peine distinguer des silhouettes, longtemps maintenues derrière un écran presque opaque, habillées de tons froids (gris, brun, rouge éteint) et se déplaçant sur un sol légèrement incurvé. Débarrassée des personnages secondaires et de récits épiques, la neuvième des quatorze scènes du livret est une double parade amoureuse : caressante pour le couple de théâtre (Penthésilée et Achille, représentés par des comédiens déclamant en français), plus retenue pour celui d'opéra (Penthesilea et Achilles, chantant en allemand). Comme dans la tragédie antique, au terme d'une passion destructrice qui verra le Péliade déchiqueté, l'assemblée plaindra la femme hors d'elle qui se punit seule, plutôt que d'en faire un bouc émissaire.
Très (trop ?) présent, le personnage de Penthésilée (Dörte Lyssewski) n'éclipse pas une distribution vocale d'un bon niveau, et en particulier son double au chant agile et souple, incarné par le soprano Fionnuala McCarthy. Sonore mais terne, l'Ulysse d'Evgueni Alexiev donne la réplique au Diomède plus coloré mais facilement couvert d'Ivan Geissler. La Grande Prêtresse d'Hanna Schaer conjugue espace, expressivité et fulgurance des aigus. Considérant l'émission claire mais quelque peu vibrante de Géraldine Casey en Prothoé, on regrette de ne pas entendre plus longtemps Quentin Hays, Achilles au timbre rond et charnu, ou Gabrielle Philiponet et Carine Séchaye, vaillantes Amazones.
Tendue comme le désir, la musique de René Koering puise dans le postromantisme une énergie violente et sensuelle [lire notre entretien]. Le monde des hommes est rendu par la résonance du bois frappé, le roulement d'une caisse clair, le grain du lion's roar ou le ronflement des cuivres bouchés. Il faut qu'Ulysse évoque les cheveux de soie de l'héroïne pour qu'un trait de flûte vienne adoucir ce quotidien de soldat. Toutes masculines qu'elles s'affichent, les guerrières restent des femmes, ce dont témoigne le lyrisme des cordes sur le conciliabule des scènes III à V. En fosse, Alain Altinoglu se montre attentif à opposer ou fondre ces différents climats, ainsi qu'à l'équilibre général des pupitres.
LB