Chroniques

par irma foletti

Roberto Devereux ossia Il conte di Essex
Robert Devereux ou Le comte d’Essex

tragédie lyrique de Gaetano Donizetti
Festival Donizetti Opera / Teatro Donizetti, Bergame
- 15 novembre 2024
Roberto Devereux au Festival Donizetti Opera 2024
© gianfranco rota

Le Festival Donizetti Opera fête cette année sa dixième édition et propose Roberto Devereux en ouverture de manifestation, l’un des trois ouvrages appartenant à ce qu’il est convenu d’appeler la trilogie Tudor, aux côtés d’Anna Bolena et de Maria Stuarda. Réalisé en coproduction avec le Teatro Sociale de Rovigo, le spectacle, est confié à Stephen Langridge [lire nos chroniques de The Minotaur, Otello et Parsifal], actuel directeur artistique du Glyndebourne Festival.

C’est la version originale de la création napolitaine de 1837 qui est jouée ce soir, sans l’Ouverture ajoutée l’année suivante pour le Théâtre-Italien de Paris. Le rideau se lève directement sur Sara entourée des dames de la cour d’Angleterre. C’est une sévère austérité élisabéthaine qui domine, sur un plateau noir et dépouillé, entouré d’un rectangle lumineux comme cadre de scène qui a tendance à aveugler le public lorsqu’il s’éclaire. Les choristes interviennent en majorité perchés sur de hauts caissons mobiles, eux aussi vêtus de noir et portant collerettes blanches, bien en ligne avec la scénographie de Katie Davenport, également chargée des costumes. Des écrits de Robert Devereux (1565-1601), deuxième comte d’Essex écrivain et poète à ses heures, sont projetés par séquences sur les surfaces noires. Une table, sorte de cabinet de curiosités shakespearien, est posée en avant-scène à jardin, rassemblant livres et plumes, sabliers, chandeliers, couteaux et crânes. La place de la mort est encore accentuée par deux marionnettistes aux commandes d’un squelette, intervenant toutefois avec une heureuse parcimonie. Le mobilier est rarissime, seulement par moments le lit rouge vermillon de Sara, suspendu à mi-hauteur pendant le deuxième acte, ainsi que le trône d’Elizabeth, de la même couleur. Le travail de Peter Mumford sur les lumières est à saluer, les éclairages descendant des cintres pour se placer au niveau du sol à l’occasion de la scène conclusive du troisième acte.

En tête de distribution, le ténor américain John Osborn compose un Devereux convaincant, utilisant au mieux sa technique de voix mixte. Ceci est particulièrement vrai dans la grande scène du dernier acte, emprisonné dans la Tour de Londres, où la cantilène Come uno spirto angelico est conduite avec une suprême délicatesse, puis la cabalette Bagnato il sen di lagrime chantée avec panache et des aigus fermes et longuement tenus [lire nos chroniques des Contes d’Hoffmann, de Semiramide, Le prophète, Benvenuto Cellini, L’elisir d’amore, Die ersten Menschen, La fille du régiment, La Juive et Les martyrs]. La générosité de l’aigu caractérise également le soprano Jessica Pratt qui s’empare du rôle long et éprouvant d’Elisabetta, emploi d’ailleurs davantage sollicité que le rôle-titre dans cet ouvrage. L’interprète se montre très à l’aise dans le registre supérieur, en agilité, notes aigües filées, suraigus puissants, faisant une admirable démonstration belcantiste dans son air final Vivi ingrato, alors qu’elle a retiré sa perruque, effet qui en accentue encore le relief dramatique [lire nos chroniques d’I puritani à Toulon, à Marseille et à Paris, Le convenienze ed inconvenienze teatrali, Rigoletto, Semiramide, Il castello di Kenilworth, Francesca da Rimini, Aureliano in Palmira et Bianca e Falliero].

Dès son entrée en scène, on tombe sous le charme de la Sara de Raffaella Lupinacci, lorsqu’elle développe son très bel air All’afflito è dolce il pianto. Voix chaude, timbre riche et d’égale qualité sur la tessiture, le mezzo italien est véritablement au sommet de ses moyens, dans ce personnage que le metteur en scène a voulu enceinte, détail qui n’apporte toutefois pas grande valeur ajoutée, à notre sens [lire nos chroniques de Rosmonda d’Inghilterra et de Torvaldo e Dorliska]. En Duc de Nottingham, le baryton Simone Piazzola ne convainc pas, d’une intonation régulièrement approximative, aux fins de phrases parfois difficilement audibles, comme à court de souffle. C’est dommage, car les intentions sont bonnes et le grain de voix a un beau potentiel [lire nos chroniques de La traviata et de Falstaff]. Le ténor bien projeté David Astorga (Cecil) et le baryton-basse agréablement timbré Ignas Melnikas (Gualtiero) complètent l’affiche.

Sous la baguette du directeur musical du festival, Riccardo Frizza, l’Orchestra Donizetti Opera joue une musique de haute qualité, sans effets spectaculaires, mais variant avec goût les nuances, tempi et volumes. Le chef se met aussi avant tout au service des solistes et des choristes, ces derniers meilleurs pour les passages forte que piano, surtout pour ce qui concerne la partie masculine du Coro dell’Accademia Teatro alla Scala. La partition a belle allure, ce soir – même sans Ouverture ! –, interprétée avec une grande ampleur des cordes pour certaines mesures, et une constante maîtrise technique de l’ensemble des musiciens.

IF