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Chroniques
Richard Wagner | Siegfried
Jonathan Nott dirige les Bamberger Sinfoniker
Traditionnellement, on considère que Siegfried est le volet le plus faible de la Tétralogie. Ce désamour incrimine généralement la platitude du livret dans le dernier acte, ce qui est particulièrement injuste si l'on tient compte de l'inventivité de l'écriture et la façon d'inscrire le drame dans le perpétuel mouvement d'une dimension épique.
Torsten Kerl ne peut malheureusement pas défendre ses chances dans le rôle-titre ; l'annonce d'un souci de santé au début du deuxième acte vient expliquer une performance étrangement atone et sans relief. Consciencieusement, il ira au bout de la soirée, sans chercher à « truquer » par des effets inutiles la modestie de la projection. Cet incident ne peut à lui seul expliquer le niveau moyen de la soirée. La glissade du tuba dans le prélude installe une tension qui gagne insidieusement le reste du plateau, donnant le sentiment inconfortable que tout le monde se surveille pour éviter les faux pas. La conséquence, c'est que toute la scène de la forge sombre dans une spirale ennuyeuse, malgré les effets lumineux qui viennent souligner les coups de marteau sur le rail de train qui sert d'enclume.
Le Mime de Peter Galliard donne au personnage une dimension policée, plus proche de l'humour bourgeois d'un théâtre de boulevard que du sarcasme et de la perversité du Niebelung. Très présent sur scène, il fait oublier par ses déplacements une voix constamment couverte. Albert Dohmen promène, quant à lui, un Wotan de bonne tenue – sans doute sa meilleure performance depuis le début de ce Ring. La couleur ne se délite pas dans les changements de registres et le vibrato est fort rigoureux. L'Alberich de Peter Sidhom donne le change question volume, mais la ligne est brouillonne et l'émission ne s’avère pas toujours irréprochable ; il reste cependant le meilleur interlocuteur de Dohmen.
D'un constat général, le plateau est sollicité au delà du convenable par une direction d’orchestre qui fait souvent cavalier seul. Cette symphonie avec voix obligée ne peut pas vraiment se comparer à un réel travail de fosse ; la version concert ouvre des perspectives d'écoute inédites mais contraint à des précautions supplémentaires en termes de dynamique d'ensemble. Dans l’Acte II, Jonathan Nott s'attarde sur des détails qui plombent l'urgence et le drame, comme ces temps morts assez surprenants à l'approche de la caverne de Fafner ou le déroulement du combat, assez pachydermique et sans élan – malgré l'indication donnée au timbalier de martyriser la membrane de son instrument.
L'amplification peu discrète des voix de Fafner et de l'Oiseau jouent à contre-emploi dans une acoustique naturelle où il aurait fallu se contenter de l'éloignement des voix dans les couloirs de la salle d'orgue. Malgré ce procédé, Mikhaïl Petrenko (Fafner) ne comble pas une absence flagrante de volume et de noirceur. Sophie Bevan est un colorature très affirmé pour le modeste Waldvogel. Les aigus pourraient être plus effilés, mais elle n'a aucun mal à atteindre les crêtes stratosphériques du rôle.
Un changement de battue maladroit dans le prélude du III envoie une partie des cordes dans le décor ; l'arrivée de Wotan servant de poteau indicateur aux musiciens, la catastrophe est évitée. Il faut passer les premières mesures pour enfin entendre la voix d'Albert Dohmen, littéralement dévoré par le volume orchestral. Son duo avec Erda fait redescendre la température à un niveau plus acceptable. On peut profiter de la noblesse de la palette et des notes tenues de Christa Mayer, et la façon dont le dialogue se déploie entre les deux protagonistes. La passe d'armes entre Siegfried et Wotan ressemble fort à un échange de politesses sur le seuil d'une porte, avec toutefois la particularité (appréciable) que les Bamberger Sinfoniker font un effort sensible pour accompagner sotto voce l'émission fragile de Torsten Kerl. Face à la Brünnhilde d'Eva Johansson, il ne démérite pas et parvient même à rivaliser avec elle dans les aigus. Cueillie à froid au sortir de son sommeil, elle nasalise des notes qui finissent souvent en cris sous l'effet d'une projection unidirectionnelle. Le legato erratique traduit une hésitation précoce. La parenthèse de Siegfried-Idyll laisse retrouver un équilibre plus satisfaisant, même si l'orchestre est là, tout près et menaçant…
DV