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Chroniques
Radamisto | Rhadamiste
opéra de Georg Friedrich Händel
Un peu plus de quatre heures d’autoroute et me voici à Francfort, après le fort beau concert qu’Iván Fischer dirigeait hier à Munich [lire notre chronique de la veille]. La première des deux soirées que je passerai dans la cité hessoise est consacrée au répertoire baroque, avec Radamisto de Georg Friedrich Händel, dont l’Opéra de Francfort donne la deuxième version, celle présentée à Londres le 28 décembre 1720 (en tout, le Saxon produisit trois moutures). Pour cette œuvre dont il savait pertinemment pouvoir se servir longtemps comme d’une carte de visite imparable pour imposer son style aux Anglais, le compositeur a particulièrement soigné l’écriture vocale qui s’avère des plus séduisantes, bien que Radamisto ne compte plus de nos jours parmi ses opus lyriques renommés. Quant à l’intrigue que le librettiste Nicola Francesco Haym (1678-1729) empruntait à ses contemporains le Vénitien Matteo Noris (1640-1714) et au Napolitain Domenico Lalli (1679-1741) – La Zenobia, opéra du Romain Giovanni Antonio Boretti, 1666 ; Il Tigrane, opéra d’Alessandro Scarlatti, 1715 –, elle possède la bonne proportion de passion amoureuse, de soif du pouvoir politique et d’exotisme orientalisant pour avoir retenu son attention et plaire alors au public de son temps.
La production jouée ce soir fut conçue pour le Bockenheimer Depot où on la créa au printemps 2016. Reprise en ville par Benjamin Cortez, la mise en scène de Tilmann Köhler [lire notre chronique de Serse] ne semble pas s’adapter aux forceps aux dimensions de la maison, pour moi qui ne l’ai pas abordée dans le lieu auquel elle était initialement dédiée. Le scénographe Karoly Risz a réalisé un dispositif simple comme bonjour, certes, un bonjour porteur qui tient efficacement toute la représentation. Il s’agit d’un grand escalier où les affres plus haut décrites sont vécues par des protagonistes toujours sous tension. À l’arrière, un mur lisse recueille la vidéo de Bibi Abel, images de guerre, de ruines, de fuite, provenant du conflit en Syrie. L’accent est constamment mis sur la hargne du tyran, y compris dans le travail de lumière, très contrasté, que signe Joachim Klein. Les personnages sont tous construits avec précision, sans rien laisser au hasard, et ils exigent une endurance physique notable. Sans mauvaise surprise, les costumes de Susanne Uhl racontent eux aussi la guerre et une vie domestique envahie par l’actualité.
Au gouvernail du Frankfurter Opern– und Museumsorchester, le jeune chef d’orchestre italien Simone Di Felice (qui exerça d’abord ici en tant que chef de chant puis devint Kappelmeister il y a trois ans) mène une lecture gracieuse et vive qui ne laisse aucun détail sur le bas-côté. Pour autant, il inscrit nettement sa lecture dans la dramaturgie, avec un grand sens du théâtre, à l’œuvre dans les nuances et dans l’articulation. Avec cela, il se montre attentif à l’équilibre avec les voix.
Et le plateau satisfait haut la main ! Ainsi du jeune baryton-basse étonnamment puissant et agile Božidar Smiljanić qui, par l’excellence du chant et par la puissance, judicieusement jugulée, prête au rôle de Farasmane une importance qu’il n’aurait pas autrement. Ou encore de l’excellent Tigrane de Kateryna Kasper, soprano facile qu’il faudra entendre à nouveau dans des rôles plus étoffés. S’il s’avère très bon acteur, le contre-ténor Vince Yi (sopraniste), malgré l’adresse avec laquelle il négocie les fioritures, n’est pas franchement marquant en Fraarte. À l’inverse, la basse coréenne Kihwan Sim, applaudi ici-même en Phorbas [lire notre chronique d’Œdipe], impressionne durablement en Tiridate, tyran tourné en dérision dont la cruauté est pourtant bien réelle. La profondeur de la voix, l’éclat du timbre, l’évidence du phrasé, enfin la présence en scène : que demander de plus ? Tout y est. En Polissena, Jenny Carlstedt [lire nos chroniques de Rheingold, Götterdämmerung et Les contes d’Hoffmann] compose un personnage attachant auquel elle prête un timbre riche et une ligne vocale rigoureusement conduite. Plus déterminante encore, la Zenobia campée par le mezzo letton Zanda Švēde, grand format vocal doté d’une lumière formidable dont elle use avec une maîtrise admirable. Enfin, on retrouve l’alto chaleureux du contre-ténor russe Dmitry Egorov [lire nos chroniques d’A midsummer night’s dream et de Trois sœurs] dans le rôle-titre qu’il magnifie jusqu’à l’étourdissement : quelle couleur, quelle souplesse, quelle aisance et quel poids dans la tenue du héros ! Un ravissement.
KO