Chroniques

par michel slama

récital Renée Fleming

Théâtre du Châtelet, Paris
- 19 janvier 2004
le soprano Renée Fleming photographié par Andrew Eccles
© andrew eccles

Le Tout-Paris célèbre l’un des plus grands soprani d’aujourd’hui, Renée Fleming, dans son théâtre de prédilection : le Châtelet. Le programme, qui s’étend de Mozart à Prévin, a de quoi satisfaire un public surexcité et conquis d’avance. Après une Ouverture du Schauspieldirektor de Mozart, exécutée avec une justesse approximative par un Jonathan Summers brutal et sans nuances, la Diva, superbement habillée par Gianfranco Ferré, fait son entrée sous une tempête d’applaudissements.

Elle entame un Come scoglio techniquement parfait, mais privé de sentiment et d’émotion, comme si la chanteuse, trop affairée à jouer avec les pans de soie noire de sa robe glamour à souhait, oubliait d’interpréter cette Fiordiligi qu’elle sut pourtant caractériser naguère avec tant de talent, sous la baguette de Solti. Comme le veut la tradition, le programme alterne interludes orchestraux et arie : le public a-t-il payé sa place pour voir et entendre la belle Renée ou pour subir un menu équitablement réparti entre elle et un orchestre médiocre, peu avare de couacs, dont le seul mérite est de faire redécouvrir des partitions peu fréquentées de Massenet, Korngold ou Barber ?

Dans l’air fameux de Thaïs(Ô mon miroir fidèle), Renée Fleming continue de délivrer du beau son, ignorant toute portraiture de l’héroïne complexe de Massenet, et distillant un ennui qui éreintera toute la première partie du concert.Paraphrasant le librettiste, on croit entendre : « Dis-moi que [ma voix est] belle et [qu’elle sera] belle éternellement... ». Suit un monologue de la Maréchale du Rosenkavalier (Strauss), extérieur, indifférent, dirigé de façon prosaïque par un chef décidément peu inspiré. Pourtant, à l’Opéra Bastille en 1997, la cantatrice interprétait avec tant d’introspection et de passion ce rôle... Même le Lied Cäcilie n’émeut pas, chanté en force, à la limite du cri. En vain y cherchera-t-on la fiévreuse déclaration que Strauss fit à sa promise à la veille de leur mariage.

En seconde partie, O moi babbino caro confond l’insouciance espiègle de Lauretta avec la vaillance de Tosca. L’air fameux de La Vally (Catalani) trouve Fleming un peu plus concernée, toujours techniquement parfaite comme avare de cette émotion qui manque à toute la soirée. Avec I want magic, extrait d’A Streetcar named Desire, composé pour elle par André Prévin, notre star retrouve enfin le talent et le charme qu’on admire chez elle, le temps du monologue dramatique de Blanche. La soirée s’achève sur un Summertime sophistiqué et people, bien loin du naturel et de l’humble simplicité des chanteuses noires qui ont interprété Clara (Porgy and Bess).

Trois bis (Massenet, Cilea, Strauss) aux héroïnes interchangeables ne sont guère plus inoubliables, mais finissent néanmoins de ravir un public en délire qui ne partage ni nos réserves ni notre désenchantement. Arrêtons de bouder notre plaisir : nous avons la chance d’avoir devant nous la plus grande chanteuse actuellement capable de servir ce large répertoire, de cette incomparable voix de miel – un peu trop sucrée ce soir, à notre goût.

MS