Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Jean-Efflam Bavouzet
œuvres de Debussy, Decaux, Pierné et Ravel

Auditorium du Louvre, Paris
- 3 décembre 2014
au Louvre, le pianiste Jean-Efflam Bavouzet donne un récital français
© paul mitchell

Le cycle de Rameau à Daho se poursuit au Louvre avec ce récital du pianiste Jean-Efflam Bavouzet, consacré en partie à des opus rares mais aussi à des pages de répertoire, sans oublier une transcription des plus réussies d’une œuvre orchestrale. Pour commencer, le Nocturne en forme de valse extrait des Trois pièces formant suite de concert Op.40 de Gabriel Pierné (1903), un compositeur que l’artiste défend volontiers [lire notre chronique du 19 mai 2013]. Harmonie floutée par un ornement qui la vient flotter, cette pièce en boucle, un rien bavarde dans sa partie centrale, ouvre sur Le cimetière, troisième des miniatures du recueil Clairs de lune écrit par l’organiste normand Abel Decaux entre 1900 et 1907. La surprise est grande : voilà un musicien qui déclinait ce qu’on pourrait appeler série, issue d’un Dies Irae un brin maquillé, en un temps où l’expérience des Viennois n’avait pas encore atteint les oreilles françaises. L’alternance de l’appel carillonné dans l’aigu, de saveur presque orientale, et du choral interroge grandement l’écoute sur l’inspiration de ce scholiste méconnu. Grande précision des différentes frappes et dynamique méticuleuse véhicule le monde tendre et sensuel de La terrasse des audiences du clair de lune de Claude Debussy (Préludes II).

Le 15 mai 1913, les Ballets russes donnaient au Théâtre des Champs-Élysées la première du ballet Jeux, commandé à Debussy au printemps précédent. Si nous avait conquis la version pour deux piano, sous les doigts de François-Frédéric Guy et de Jean-Efflam Bavouzet, il y a peu [lire notre chronique du 16 juin 2013], celle de ce soir, résumant à un seul piano toute l’armada instrumentale de ce poème dansé, laisse pantois ! Due au pianiste lui-même, cette transcription rend habilement les couleurs de l’original tout en invitant l’imagination de l’auditeur à en recréer tous les timbres. L’ambitus formidable de nuances relève d’une virtuosité discrète mais effective qui convainc d’emblée.

Maurice Ravel conclut cette belle soirée : nous entendons les cinq Miroirs de 1905. Les différents plans de Noctuelles sont exceptionnellement ciselés, dans une aura de mystère instillée par une pédalisation savante. Les Oiseaux tristes surviennent dans une inflexion à la fois grave et chatoyante, l’interprète distillant des pianississimi d’une grâce secrète. L’élan d’Une barque sur l'océan évolue dans une lumière changeante, mouvement de marine insaisissable. Après le plus anecdotique Alborada del gracioso et son ton pittoresque à vivre comme une halte sympathique, d’ailleurs fort élégamment livrée, La vallée des cloches s’impose comme une méditation plus profonde.

Tandis que nos musées semblent avoir parié sur l’échange des périodes à explorer, par devers les collections respectives, le Louvre jouant les « impressionnistes » et les romantiques tardifs alors qu’Orsay propose une série Bach, [lire notre chronique du 13 novembre 2014], Bavouzet offre encore trois bis à un public fasciné. Nous retrouvons Pierné à travers son Étude de concert Op.13 de 1887, follette toupie en virevolte fantasque traversée d’un développement plus lyrique quoiqu’en semi-galop. Généreux, le pianiste se lance dans Feux d’artifice (dernier des Préludes du Livre II, 1912), somptueusement contrasté. Il prend congé avec la redoutable et roborative Toccata en si bémol majeur de Jules Massenet (1892) – irrésistible !

BB