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Chroniques
récital du ténor Gregory Kunde
Alessandro Cadario dirige l’Orchestra Filarmonica Gioachino Rossini
Vient-on au Rossini Opera Festival (ROF) pour assister à un concert de songs américains ? C’est pourtant la majorité du programme concocté par Gregory Kunde. Une autre question se pose également : à soixante-dix ans révolus, peut-on refuser au ténor étatsunien de décider de son programme, lui qui a marqué l’histoire de cette manifestation ? C’est en 1992 qu’il venait à Pesaro pour participer à la Semiramide du bicentenaire de la naissance du compositeur ; puis il y revint régulièrement, jusqu’en 2004 (Tancredi), dans un format vocal de ténor léger rossinien, voire de tenorino pour certaines productions. Son rôle-titre d’Otello en 2006 révélait ensuite une voix complètement différente, celle d’un baritenore aussi à l’aise dans le grave que puissant dans le registre aigu. Le chanteur faisait alors sensation, enchaînant les deux années suivantes deux autres opere serie, Ermione (2008) puis Zelmira (2009). Quinze années plus tard, il retrouve le ROF pour un concert dont les deux premiers extraits rossiniens ont un peu de mal à équilibrer le programme, véritable tour de chant américain.
Dans l’Ouverture de La gazza ladra (1817), l’Orchestra Filarmonica Gioachino Rossini, placé sous la baguette d’Alessandro Cadario, montre ses forces, par exemple la virtuosité du hautbois, celle du piccolo, et ses faiblesses, comme un cor solo nettement moins à l’aise. Les cordes sont, en général, suffisamment en place pour les crescendos et decrescendos, sauf à de brefs instants où la cohésion d’ensemble paraît moins aboutie. Un peu plus tard, l’Ouverture de Candide (1956) de Bernstein est menée à bon port, sans incident majeur, même si la formation semble par moments moins à l’aise dans la gestion des changements de rythme, soudains et nombreux.
Entre les deux Ouvertures, le Rossini chanté trouve sa – petite – place, avec l’air d’Arnold, Asile héréditaire, tiré de Guillaume Tell (1829). On retrouve un Gregory Kunde qui impressionne par son français idéal et par la projection parfois insolente des notes aigües. Seule petite ombre à planer, la présence d’un vibrato développé, sous contrôle dans l’ensemble, mais qui a tendance à imposer sa présence dans la conduite de certaines phrases. L’autorité du récitatif, puis de l’air, est, en tout cas, admirable, les derniers mots « …pour la dernière fois » faisant redouter en effet d’entendre cet extrait pour la dernière fois par cet artiste-là. À noter que la cabalette n’est pas proposée dans l’enchaînement.
Après Candide, on reste en compagnie de Bernstein avec Maria tiré de West Side Story (1957). Le ténor chante à présent au micro, partition sur le pupitre, dans un son moins équilibré que précédemment. On l’entend distinctement lorsqu’il chante à pleine voix ou que l’orchestre se fait discret, mais la voix, même amplifiée, est moins glorieuse dans le médium et le registre inférieur, alors régulièrement couverte par les instruments. L’orchestration est souvent jazzy avec une participation active du piano de John G. Smith, des cuivres et de la batterie, comme pour Fly me to the moon (Bart Howard, 1954) ou All of me (Gerald Marks, 1931), mais elle sait aussi se faire plus légère, comme dans la chanson douce How do you keep the music playing ? (Michel Legrand, 1982). Vient une curiosité, soit les deux chansons When I fall in love (Victor Young, 1952) et All the way (Jimmy Van Heusen, 1957) réunies en une seule par les soins du pianiste – et bien malin qui peut distinguer entre les deux, tant le morceau semble homogène et original.
You make me feel so young (Joseph Myrow, 1946) conclut le récital, avant deux bis : d’abord le célèbre My way (Paul Anka, 1969, d’après Comme d’habitude de Jacques Revaux, 1967), popularisé par Frank Sinatra, et que Gregory Kunde [lire nos chroniques d’Iphigénie en Tauride, Doktor Faust, Louise, Don Pasquale, La donna del lago, La clemenza di Tito, Norma, I vespri siciliani, Roberto Devereux, Samson et Dalila, Le prophète, Peter Grimes, Don Carlos, La forza del destino, Les Troyens à Paris et à Munich, Otello à Turin, Peralada et Cordoue, enfin d’Aida] n’interprète qu’en Italie, comme il l’indique à l’auditoire. Le titre est certes chanté avec émotion, mais on passe davantage dans l’évènementiel avec le dernier extrait puccinien Nessun dorma (Turandot, 1924), conclusion classique d’un concert de ténor. Calaf garde à nouveau son vibrato sous contrôle et fait goûter des aigus d’une ampleur considérable, en particulier sur son dernier Vincerò.
IF