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Quatuor Minguet
Wolfgang Rihm | Quatuors n°2, n°4 et n°11
Le Schiller Theater accueille le public dans son vaste foyer, pour une soirée chambriste. Devant la grande verrière concave, réalisée au début des années cinquante par le peintre Ludwig Peter Kowalski, nous écouterons le Quatuor Minguet. Tant actif dans le répertoire ancien que dans la création [lire notre critique du CD Josef Suk], ce dernier donne, dans le cadre du festival Infektion! [lire notre chronique du 27 juin 2017], un programme entièrement consacré à la musique de Wolfgang Rihm, compositeur dont ces musiciens ont entrepris la gravure d’une intégrale des quatuors à cordes et qu’ils servaient magistralement à l’automne dernier, alors complices de l’Ensemble Huelgas [lire notre chronique du 9 novembre 2016].
La première pièce fut écrite par Rihm à l’âge de dix-huit ans (1970). Le Quatuor Op.10 n°2 possède une énergie trépidante qui parfois explore la saturation – n’en déplaise aux actuels champions d’un mouvement assez pauvre en ce qu’il réduit la pensée musicale à un effet, la saturation était bel et bien sous les archets de Rihm il y a quarante-sept ans. Une partie très éprouvante de premier violon conduit drument l’exécution.
Dix ans sont passés, qui nous mènent au Quatuor n°4 (1980-81), créé à l’automne 1983 par le Quatuor Alban Berg, à Badenweiler. L’auteur précise « c’est un quatuor à cordes, mais pas la quatrième, peut-être le neuvième », et aussi qu’il n’est pas « de bonne humeur ». Il suit d’assez près l’opéra Jakob Lenz qui nous occupait hier soir [lire notre chronique de la veille]. Il est ouvert par deux mouvements rapides. Après un début en mitraille, l’Agitato initial évolue en Allegro qui fragmente le motif et ses proliférations. Un gel d’harmoniques le gagne, avant le retour des fragments. Il s’achève en podorythmie, dans la raréfaction. Con moto semble ne vouloir pas commencer, comme l’hésitation bègue d’une rage rentrée. L’alto élève alors une phrase tendrement lyrique, bientôt partagée avec le premier violon, quelque chose qui intègre la tradition, avec sa couleur romantique. La suspension du geste arrête l’épisode. Les deux violons et l’alto ouvrent l’Adagio dans une énigmatique sonorité de flûte, sur des pizz’ de violoncelle. Les trois se conjuguent pour créer ensuite l’illusion d’un Glaßharmonica. La suite engage des aspérités vigoureuses, puis révèle une âpre mélodie aux violons, sur la ponctuation musclée des autres instruments. L’œuvre se termine dans de petits tapotements d’archets.
La première partie du concert est conclue par Geste zu Vedova, une page récente inspirée par la peinture très gestuelle d’Emilio Vedova. C’est à la Fondazione Vedova qu’elle fut créée, il y a deux ans, par le Quatuor Minguet. Wolfgang Rihm puise à l’énergie débordante du plasticien, à la cambrure de ses contrastes. La relative douceur des premiers pas se mue immédiatement en des virages glissando. La tonicité d’attaques redondantes, voire en écho, recharge par l’aigu une phase d’insistante volubilité. Trois accords quasiment monterverdiens referment le cahier.
À la Philharmonie d’Essen, le 18 janvier 2009, le Quatuor Takács faisait entendre pour la première fois le Quatuor n°11. L’œuvre, dont la genèse suit les Vier Studien zu einem Klarinettenquintett [lire notre chronique du 20 octobre 2004] fut par Peter Held pour la formation hongroise. Au début de son travail, Rihm imaginait une voix de baryton aux coté des quartettistes, mais il fut interrompu dans l’élaboration de l’œuvre par une demande de l’ARD pour son concours international – « j’ai pillé l’esquisse inachevée », dit-il, qui devint une Étude pour quatuor. Le commanditaire ne lâchant pas prise, le compositeur se remit au métier et réalisa les parties chantées. Finalement, il les intégra aux instruments, abandonnant l’idée de la voix. Cet opus s’articule en quatre mouvements. Le lyrisme heureux du Moderato surprend, de même que les mélodies enlacées du Lento, en un subtil mezzo piano. Dru est peut-être le maître mot qui caractérise la manière chambriste de Wolfgang Rihm : c’est bien ainsi que s’entend l’Allegro con fuoco. La tendresse généreuse du Lento ma non troppo regarde sans complexe vers les maîtres anciens dont elle renoue avec l’expressivité que d’autres considèrent naïve, et s’achève dans l’ombre de sa chanson.
BB