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Chroniques
Quatuor Kopelman
Penderecki, Prokofiev et Tchaïkovski
Une nouvelle fois, la belle cité alsacienne se met pour une décade à l’heure musicale russe, au fil du Festival International de Colmar qui chaque été fait entendre les grands maîtres en la matière. Le programme qu’en cette fin d’après-midi orageuse nous entendons déroge à peine en proposant le Quatuor à cordes n°3 « Feuilles d’un journal non écrit » de Krzysztof Penderecki, une œuvre écrite en 2008 et qu’au 21 novembre de la même année créait à Varsovie le Shanghai Quartet, son commanditaire – ainsi retrouve-t-on le parfum d’une édition ancienne, alors dédiée au compositeur polonais [lire nos chroniques des 8 et 9 juillet 2003]. D’une sonorité généreuse, le Quatuor Kopelman sert idéalement l’unique mouvement de cet opus nostalgique un rien bavard – l’inscription de Penderecki dans son temps semble s’être définitivement arrêtée en 1969, avec l’opéra Die Teufel von Loudun [lire notre chronique du 5 mars 2013].
C’est par une interprétation à la fois musclée et sensible du Quatuor en fa majeur Op.92 n°2 de Sergueï Prokofiev que les Kopelman ouvraient ce moment. D’emblée, l’Allegro sostenuto signale deux violons souverainement brillants (Mikhaïl Kopelman et Boris Kushnir) qui mènent une lecture incisive et claire de ce premier mouvement, soutenue quoique sans lourdeur. L’alto d’Igor Suliga se distingue dans l’élan tragique de la partie centrale, très inquiète. Joueuse, la reprise du thème principal caractérise la verve de Prokofiev : précision presque brutale de l’insert et caressante suavité, dans une lumière printanière. Prise dans le gel, l’élégie de l’Adagio médian est redoutablement difficile. Mikhaïl Milman livre une introduction généreusement phrasée, d’où surgit comme de nulle part la « chanson » du premier violon, sur les pizz’ obstinés de ses camarades. On admire le bruissement progressif de la redite, puis le final qui, dans un lyrisme contenu, élève un chant noble et triste. Le troisième épisode frémit de contrastes farouches. Le grand solo de violoncelle s’affirme mafflu quand le motif d’alto distille un moelleux consolateur.
Faisons un bond de près de sept décennies en arrière, avec le Quatuor en fa majeur Op.22 n°2 de Piotr Tchaïkovski. Nos quartettistes russes sertissent son premier mouvement dans une couleur délicate, discrètement conduite par un deuxième violon sur le fil. La respiration de l’introduction (Adagio) est remarquablement concentrée, comme pour mieux laisser libre cours à la danse élégante qui suit (Moderato). Les Kopelman soulignent le caractère presque symphonique des quelques froncements de sourcils, au fil d’une interprétation passionnée et gracieuse. Ils entonnent le Scherzo dans une élégance exquisément fanée – un scherzo timide, « sérieux » pourrait-on dire, dont le second thème hésite à danser. Âpre à pleurer, cette version maintient une saisissante austérité de ton. À un Andante soigneusement nuancé succède l’haletant finale (Allegro con moto), avec son fugato vertigineusement dru, l’urgence toute beethovénienne de sa jubilation conclusive. Afin de remercier l’accueil ému d’un public extrêmement attentif (ce n’est pas toujours le cas), les musiciens donnent l’Andante cantabile du Quatuor en ré majeur Op.11 n°1 de Tchaïkovski (1871), choral fervent, ici à fleur de peau, digne, pur, bouleversant.
BB