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Chroniques
Quatuor Danel
œuvres de Mossolov, Tishchenko et Weinberg
Entamé à la mi-décembre, le second volet du cycle consacré à la musique russe pendant le régime soviétique se poursuit à la Cité de la Musique, « lorsqu’utopie révolutionnaire pouvait encore rimer avec avant-garde ». L’œuvre chambriste de Dmitri Chostakovitch y figure, tout particulièrement ; c’est d’ailleurs son Élégie surannée qui sert de bis au concert d’après-midi, comme préludant celui des Borodine, en soirée, qui défendront trois des six quatuors au programme en cette fin de semaine, choisis parmi les quinze légués par le créateur goguenard du Boulon. Mais place au Quatuor Danel, une formation qui compte vingt ans de carrière, cette année, et propose quatre pièces écrites pour la plupart durant la période stalienne.
En 1927, Alexandre Mossolov (né avec le siècle) remporte un vif succès à Francfort, lors de la création de son Quatuor à cordes Op.24 n°1. Alors que l’Andante débute dans une gravité profonde d’alto et de violoncelle, le violon de Gilles Millet pose le premier ostinato, marque de la période constructiviste du compositeur. Allégeant l’ambiance nauséeuse qui s’installait, le premier violon s’invite à son tour, pour élaborer des climats variés, pétris de pizz’ martiaux ou de tendresses flûtées. Au sein de grincements rythmiques, l’Adagio introduit des éléments de danse folklorique, tandis que le Scherzo offre à l’énergie de circuler, plutôt que de marteler. Élégiaque et tonique, le Finale clôt cette œuvre dense qui décida, de façon décisive, l’entrée en composition de son auteur.
En 1957, Boris Tishchenko – élève récemment disparu (à la mémoire duquel ce concert est dédié) d’Oustvolskaïa, Salmanov et Chostakovitch – signe à son tour un premier quatuor, l’Opus 8. La tendresse de l’altiste Vlad Bogdanas contamine ses partenaires pour un Andante mesto mélancolique, voire vaporeux. Puis, régulièrement, le double coup d’archer sur le bois du violoncelle tenu par Guy Danel rythme l’Allegro giocoso, plein d’une joie digne et concentrée, héritage stravinskien indéniable. Lento retrouve la mélancolie originelle, cependant empreinte d’apaisement, voire d’ensommeillement, avec d’ultimes accords émouvants de délicatesse.
Que sa mère chanteuse ait dû quitter le Bolchoï pour une quête en faveur des victimes de la Révolution de 1905, que lui-même se soit battu contre l’Armée Blanche n’y change rien : Mossolov, comme tant d’autres, fait les frais de cette volonté d’un réalisme socialiste que le Parti veut imposer aux arts, de manière radicale, à partir de 1932. Dix ans plus tard, réduit à faire profil bas, le compositeur écrit un deuxième quatuor dont le Scherzo : Oh Russie, toi Russie, terre russe – joué seul ici –, hérissé de pizzicati chantants et dansants, cache à peine l’ironie d’une gaîté mafflue.
Conçus par Moisseï Weinberg en 1944, les trois mouvements du Quatuor en ré mineur Op.14 n°3 viennent clore ce concert peu ordinaire. Poignante, une foison d’ambiances assaille d’emblée, suivie d’un apaisement inquiet qui interroge le désarroi initial. L’agitation revient pourtant, canalisée cette fois, pour engendrer l’amorce d’une certitude, sinon un repos durable. Portée par Marc Danel, une langueur s’installe où la douleur peut s’exprimer – avec une certaine complaisance, hélas. Le finale s’affirme plus allègre, mais avec le sautillement léger de qui conserve une épine dans le pied.
LB