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Chroniques
Puur
chorégraphie de Wim Vandekeybus
Reconstruire, se reconstruire après la dévastation. Wim Vandekeybus a toujours préféré s'aventurer sur des terrains douloureux, là où le chaos et une certaine morbidité semblent régir l'existence du vivant. Dans un paysage primitif délimité par une rangée de lances, des hommes et des femmes tentent de refermer les cicatrices dues à une indicible catastrophe. Puur se situe donc dans un contexte post-traumatique. Comment continuer à vivre après l'horreur ? Alors que la vie est à nouveau insufflée par une force supérieure, la violence, tel un atavisme immuable du genre humain, s'insinue peu à peu dans les comportements. Photographe puis interprète chez Jan Fabre, Wim Vandekeybus s'est d'emblée imposé par l'intensité de sa danse avec sa première pièce What the body does not remember (1978). Depuis, instinct, vitesse, impulsions vives aiguillonnant les corps, irradient ses spectacles d'un sentiment d'urgence.
Le Flamand possède la magie insomniaque des conteurs. Ici, il voudrait nous faire prendre conscience du monstrueux, faire voir comment l'innommable engendré par l'homme travaille les entrailles de notre « modernité », comment la communauté ravaude ses chairs ulcérées par la haine. Ce questionnement peut paraître loin de notre réalité occidentale ; pourtant, les charniers suppurent encore discrètement dans l'œil de nos lucarnes télévisuelles. Entre nouvelles médiatiques et régal de reality show, les images nous émeuvent sans trop nous déranger. Le commémoratif soulage les plaies tel un onguent salvateur innocentant les suivants. Et si le spectacle a mission de rappeler la violence traumatique qu'est la négation de l'autre, et combien le fanatisme écorche les relations humaines, une flagellation complaisante ne portera en aucun cas un discours moral à devenir pardon.
Du drame vécu nous aurons l'explication à travers plusieurs vidéos. Inspirée de l'épisode biblique du Massacre des Innocents, ces projections développent un imaginaire proche du conte. Les apparitions récurrentes de personnages barbus, porteurs de toutes les peurs, sembleront vides de sens, ou pis, grotesques au regard de la thématique de la pièce.
Tu vas mourir, puis revivre et re-mourir ; sans cesse le groupe tente de recréer son humanité mais les pulsions destructrices dressent les uns contre les autres. L'amour, la jalousie, le rêve de gloire et le sexe rôdent, libérant par rafales les convulsions tapies aux tréfonds de l'être. S'exprimant en cavalcades effrénées, lancées de javelots, échauffourées charnelles, la colère se déploie en charges cycliques se voulant symboles du temps. Le mouvement rageur, les images filmées, les mots inscrits sur la toile (du Néerlandais P.F Thomése), les sons pleins de noirceur de Fausto Romitelli et de David Eugene Edwards tressent le canevas d'une histoire universelle pleine de bruits et de fureur.
Pourtant, Puur, fresque crépusculaire pour treize danseurs tonnant comme un acte de résistance face à la violence du monde, semble ne trouver qu'en de très rares tableaux l'intensité nécessaire à l'engagement du public. Ne méritant ni les hués ni les standing ovations de rigueur au Théâtre de la Ville, la dernière création de Wim Vandekeybus nous laisse dans une relative indifférence, sans espoir de voir une quelconque réflexion mûrir en nos esprits. L'indicible exaspération, parcourant la salle, ne s'exprimera que par une patiente attention.
FC