Chroniques

par laurent bergnach

Présences George Benjamin – épisode 6
création mondiale de Twin Tweets de Dai Fujikura

Pascal Rophé dirige l’Orchestre national de France
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 12 février 2020
création mondiale de Twin Tweets de Dai Fujikura, à Présences 2020
© seiji okumiya

Invité d’honneur d’un Présences désormais trentenaire, le Britannique George Benjamin (né en 1960) est à nouveau joué, ce soir, par l’Orchestre national de France qu’il dirigeait vendredi dernier dans Duet (2008) et Palimpsest (2002) [lire notre chronique du 7 février 2020]. L’œuvre dirigée par Pascal Rophé est de loin plus ancienne, puisque Sudden time (1993) fut commencé une décennie avant sa présentation au Queen Elizabeth Hall (Londres), en une période de remise en question des acquis. Le musicien explique : « avant tout, je souhaitais que la musique coule avec une grande agilité, que le matériau évolue dans l’orchestre, parfois dans plusieurs directions différentes simultanément. Pour y parvenir, la texture est conçue de façon linéaire, l’harmonie sonore étant créée par la fusion des lignes séparées » (brochure du festival).

Dans ce quart d’heure dont le titre puise dans un vers de l’Américain Wallace Stevens (1879-1955) – « It was like sudden time in a world without time » (Martial Cadenza) –, les masses semi-transparentes donnent une impression de musique chambriste, percées par divers inserts solistiques (clarinette, cor anglais, alto, etc.). Mais, comme souvent chez Benjamin, les cuivres nerveux ne sont jamais loin, ni les percussions (unisson de tambourins, mini-tablas, etc.), accentuant ainsi les couleurs de cette mosaïque abstraite, qui se soucie d’essentiel [lire notre chronique du 10 janvier 2020].

Le concert se poursuit avec la création de Litanies qui, de l’aveu de son auteur, Julian Anderson (né en 1967), cherche une solution « au problème du renouvellement de la forme concerto » (ibid.), à l’instar de ses récents In lieblicher Bläue et Le Musée imaginaire, respectivement pour violon et piano. L’œuvre se veut aussi une contribution à la tradition complexe du « style incantation », d’autant que son mouvement médian est devenu un thrène à la mémoire d’Olivier Knussen (1952-2018) dont on donnait deux pièces, ici même, dimanche dernier [lire notre chronique du 9 février 2020]. Dédiée à Alban Gerhardt qui fait montre d’une grande virtuosité, en pivot de forts contrastes de caractère, Litanies souffre de n’être pas réduit à un solo de violoncelle, la participation de l’orchestre étant franchement anecdotique – mis à part le surprenant frottement de pieds collectif, d’une seconde ou deux.

Entracte fini, nous retrouvons un compositeur joué pour la seconde fois du festival : Dai Fujikura (né en 1977) [photo] [lire notre chronique du 9 février 2020]. Avec Twin Tweets, tout récent opus pour deux clarinettes en si bémol, l’ancien élève de Benjamin salue son maître à l’occasion de ses soixante ans. Ce duo bien trop bref, inspiré par le vol des oiseaux plutôt que par leur chant, célèbre le fait de « voler librement tout en étant ensemble » (ibid.), dans une parfaite maîtrise de la vitesse et du calme, à l’instar des interprètes réunis, Patrick Messina et Christelle Pochet. On y apprécie l’aura spectrale des notes longues dans le suraigu.

Abordant la notion de métier – « moyen d’investigation permanent dans le possible » – lors d’un cours donné au Collège de France entre 1978 et 1988 –, Pierre Boulez (1925-2016) assure : « le métier de l’existant renvoie au métier de l’imaginédans un va-et-vient perpétuel. L’œuvre ne peut exister que par cet échange pour aller du connu vers l’inconnu, pour que l’inconnu surgisse du connu, pour que cet enchaînement soit inéluctable et irréversible » (in Jalons (pour une décennie), Christian Bourgois, 1989). Dans le classique Figures – Doubles – Prismes (1964/1968), que le compositeur voulait réviser un jour, on reste fasciné par le frémissement permanent d’un opus inventif dans l’ensemble comme dans le détail, avec un orchestre disposé pour mieux mêler les timbres (cuivres entourant les cordes, trois des cinq contrebasses placées en fond de scène, près de l’une des harpistes organisées en triangle, etc.).

LB