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Chroniques
Pierre Boulez dirige Court-circuit
hommage à Luciano Berio
Pour la septième année consécutive, l’Ircam produit son festival Agora dont le credo est de proposer au public quelques concerts différents de ceux présentés en saison – l’occasion d’ouvrir la maison au spectacle et à la scène, en particulier à celle de la danse, mais aussi au cinéma et au théâtre, par des soirées interdisciplinaires que la programmation annuelle ne saurait offrir. Ainsi cette édition livre-t-elle les travaux des chorégraphes Hervé Robbe et Loïc Touzé, deux soirées où seront projetés les courts métrages de Bériou, Guillaume Le Gouill, Patrick Pleutin, Lorenzo Recio, Pierre Vinour et Christian Volckman, le conte L’homme qui faisait fleurir les arbres, mais aussi une journée de concerts promenades dans les hôtels particuliers du Marais et de l’île Saint-Louis où retrouver des œuvres chambristes récentes (Ferneyhough, Grisey, Harvey, Manoury, Saariaho, etc.) et une première (Vortex de Jean-François Laporte).
La soirée d’ouverture d’Agora rend hommage à Luciano Berio, disparu il y a un an. Fondé par le chef et flûtiste Pierre-André Valade et le compositeur Philippe Hurel en 1991, et très présent dans les programmations saisonnières comme dans les festivals de musique d’aujourd’hui, l’ensemble Court-circuit donne cinq pièces du compositeur italien, pionnier des recherches ircamiennes après le Studio di Fonologia à Milan et le Tempo Reale de Florence. Pour la première fois à la tête de ces musiciens, Pierre Boulez – qu’une amitié liait à Berio depuis les années Darmstadt, qui continua de servir sa musique après la brouille des années quatre-vingt et jusqu’à des retrouvailles plus tardives – dirige ce concert.
Chemins IV (Sequenza VII), qui date de 1974, bénéficie d’une lecture extrêmement équilibrée, avec juste ce qu’il faut de tension, dans une sonorité égale non seulement difficile à construire mais à maintenir sur la longueur. Le rendu s’avère d’une clarté telle que cette musique paraît moins complexe qu’elle l’est pourtant. À l’hautbois, Pilar Fontalba révèle une agilité impressionnante. Hommage de Berio à Martin Luther King en 1967, O King devait connaître un vaste développement quelques mois plus tard à travers la célébrissime Sinfonia. L’interprétation d’aujourd’hui se soumet au même type de choix, jusqu’à la chanteuse – Luisa Castellani, régulièrement entendue dans ce répertoire – qui évolue délicatement dans un mp savamment dosé, en une saisissante « couleur blanche ». Après quelques saillies contrastées puis un lent et quasiment imperceptible crescendo, les instruments s’éteignent, laissent mourir la voix, seule, en un murmure.
En 1996, nous assistions à la première française de Kol Od (Chemins VI) lors du concert des quatre-vingt-dix ans de Paul Sacher à la Cité de la musique. Ce soir, Jean-Jacques Gaudon (trompette) donne cette pièce, assumant parfaitement la déambulation soliste sur une sorte de continuo moiré de quelques « ombres »et divers motifs en correspondance dans l’orchestre. Pierre Boulez souligne à peine le remarquable raffinement du travail timbrique de Berio, sans ostentation. Le redoutable Points on the Curve to Find... de 1974, joué par Jean-Pierre Collot (piano), s’accuse nettement différent de ce début de programme, de même que Calmo, l’opus qui le ferme. La première version de Calmo fut créée en mars 1974 à Milan, en hommage à Bruno Maderna disparu l’année précédente à Darmstadt. Boulez, qui lui aussi dédiait son Rituel au grand musicien italien, réalisait la création de la nouvelle version de l’œuvre, seize ans plus tard, avec l’Ensemble Intercontemporain – ce soir, l’hommage se déplace, pourrait-on dire. Tout en étant bien déjà dans le Berio d’Outis, on reconnaît celui de Passaggio. Luisa Castellani fait une entrée remarquée avec des grelots aux poignets et aux chevilles, avant de rendre toute sa théâtralité à une pièce pleine d’humour et de mystère, à l’image de celui auquel elle est dédiée.
BB