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Chroniques
Philippe Jaroussky et Concerto Köln
Battista, Caldara, dall’Abaco et Vivaldi
Le contre-ténor français est un fidèle de l’avenue Montaigne et le théâtre Art Nouveau le lui rend bien avec ces trois concerts Carte blanche à Philippe Jaroussky. Le premier, ce soir, est consacré à des airs d’opéra d’Antonio Caldara, contemporain négligé du Prêtre roux.
Comme dans nombre de récitals d’airs baroques, les virtuosités vocales alternent avec les pages orchestrales. La mise en bouche du présent programme est un Concerto en mi mineur à plusieurs instruments Op. 5 n°3 d’Evaristo Felice dall’Abaco. Le Concerto Köln met en valeur la lisibilité des textures. L’écriture de cette partition pluri-soliste renouvelle le genre du concerto grosso selon une idiomaticité latine que l’on retrouvera dans le parangon du genre, le concerto a molti strumenti, surnommé Arche de Noé, que Vivaldi composa pour le roi de Pologne en 1740.
Dans le premier tercet d’arie, c’est la vélocité du chanteur qui est mise en avant. L’air Contrasto assai, extrait de Temistocle, exprime le désir de vengeance du personnage, ici réalisé avec beaucoup de vivacité. Dans les récitatifs et air Troppo è insofribile de Lucio papirio dittatore, Fabio subit le dédain et la haine de celle qu’il aime. Philippe Jaroussky montre toute sa musicalité dans les modulations dissonantes, porte-parole de la douleur qui étreint le personnage, dans une rhétorique toute baroque. L’intelligence et la sensibilité de l’interprétation fait ressortir les beautés de cette page plus intérieure. On revient à de l’agilité pure avec Tutti nemici e rei, extrait de l’opéra Adriano in Siria. La jalousie qui tiraille le héros trouve un écho dans la division concertante des cordes. On est ébloui par la virtuosité et l’abattage du contre-ténor, même si la remarquable maîtrise du souffle paraît un peu trop évidente.
La Sinfonia en la majeur pour cordes et basse continue de Giovanni Battista témoigne de l’évolution musicale du milieu du Settecento vers un style plus galant. L’harmonie et la basse continue rigoureuse restent indubitablement baroques, tandis que la construction et les modulations aux changements de climat subits regardent à la fois vers le Sturm und Drang et la mélancolie d’un Boccherini.
S’ensuit un distique de deux airs. Le premier, Tutto fa nocchiero esporto est extrait d’Ifigenia in Aulide. La section lente met en évidence une très belle maîtrise, tandis que les contrastes à la fin du da capo, avec ses grands intervalles, ne peuvent laisser insensible. Non tremar vassallo indegno (Temistocle), la seconde aria, brille par les traits rapides des cordes qui soutiennent les modulations harmoniques du conseil sournois donné au traître vassal par son suzerain.
Après l’entracte, ce sont deux airs de La clemenza di Tito qui nous invitent à goûter la délicatesse de cette voix. Rien ne le met mieux en valeur que ces pages extatiques où son souffle frêle s’alanguit comme un vin timide à la longueur en bouche insoupçonnée. Cela ne freine pas pour autant la confiance résolue en la clémence du personnage des Thraces envers celui qui se constitue prigionier – dans Oppremete i contimaci. C’est la douceur qui embrasse les derniers soupirs du héros dans Se mai senti spirarti sul volto.
Le Concerto en ré mineur pour violoncelle et cordes n°23 RV 407 de Vivaldi vient servir d’intermède avant le dernier couplet d’airs. Le solo de violoncelle dans le Largo est à la fois retenu et suave. Il y a une sorte de réticence à la confession mêlée à une sensualité noble qui éclaire favorablement cette page parfois subsumée sous la catégorie musique facile. Le programme s’achève par un extrait de Demofoonte – Misero pargoletto –, et un air de l’Olimpiade – Lo seguitai felice –, sur des couleurs lumineuses d’un majeur contrasté. Le public montre son enthousiasme et Philippe Jaroussky ne se montre point avare : après deux bis pour Caldara, le troisième est un bouleversant lamento de Porpora et le dernier résonne comme un brillant final d’opéra.
GC