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Chroniques
Ottone in villa | Othon en sa villa
opéra d’Antonio Vivaldi
C’est dans la fort belle salle du Schauspielhaus de Kiel que nous voyons le premier opéra du prêtre roux, créé le 17 mars 1713 au Teatro delle Grazie de Vicenza : Ottone in Villa. Le livret est signé Benedetto Domenico Lalli – Sebastiano Biancardi de son vrai nom, Napolitain un rien voyou – à partir de celui que Francesco Maria Piccioli avait produit pour l’opéra Messalina de Carlo Pallavicino (donné en 1680). Il mêle brillamment le caractère héroïque au genre pastoral, dans une saine concision qui put aisément stimuler le travail du compositeur.
Il serait fastidieux de résumer l’intrigue : on indiquera simplement qu’elle nous mène à Rome, sous le règne d’Othon dont elle conte les amours tumultueuses sur fond de politique. À dessein sa facture est relativement rudimentaire : les commanditaires souhaitaient un ouvrage facile à représenter, sans machinerie, peu coûteux et directement efficace. On reconnaîtra que la proposition de Vivaldi va droit à l’essentiel, filant trois actes rapides qu’occupent cinq protagonistes, sans chœur. Plus précisément, l’écriture avance dans l’action en une succession de récitatifs nerveux et d’arie da capo exprimant chacun un sentiment, une intention, sans nuancer plus profondément.
Andreas Spering entre dans la fosse – à peine une avancée, peu creusée, devant la scène – entraînant immédiatement le public dans le climat d’urgence de l’opéra, aidé par la fonctionnalité élégante d’un théâtre dont l’acoustique sertie par le bois omniprésent est idéale pour ce répertoire. Dès la Sinfonia, l’on goûte une lecture construite d’un relief excitant, toujours vif, qui n’oublie pas de jouir directement du son lui-même. Le hautbois solo (premier récitatif de Cleonilla) offre une chair appréciable et les cordes affirment une santé loin de tout maniérisme. Ces plaisantes constatations s’imposent durant tout le spectacle, sans faiblir, le chef suivant pas à pas la dramaturgie, avec intelligence et sensibilité. Les instrumentistes de l’Orchestre Philharmonique de Kiel s’avèrent précis, coopérants et même engagés.
Quant à lui, le plateau vocal demeure assez inégal. Le rôle-titre est tenu par Claudia Iten qui présente une composition parfaitement crédible, d’une voix intéressante dotée de beaux graves. Le timbre n’est pas toujours flatteur, mais correspond bien à la psychologie du personnage. Les vocalises et ornements sont plutôt bien réalisés. Michaela Ische campe une Tullia attachante, d’une voix toujours égale et très projetée. Susan Gouthro donne une Cleonilla honorable qu’on aurait peut-être imaginée plus brillante. Silio est vaillamment chanté par Heike Wittrieb, dont la voix d’abord gracile et précautionneuse se bonifie durant le spectacle. Enfin, le ténor Peter Lodahl (Decio) offre un timbre riche, une sonorité claire et bien ouverte, et bénéficie d’un organe autant pourvu de graves et de médiums que d’aigus. Il lui manque encore l’évidence et le naturel, mais rien qui l’autorise à manquer autant d’assurance. Ses premières interventions sont rendues instables par un manque de confiance en soi, mais le dernier acte permet de l’entendre au mieux.
Aurelia Eggers a imaginé une mise en scène inventive et déroutante. Le moteur en est plutôt bien pensé, les éléments qui viennent faire évoluer le dispositif toujours d’à-propos, mais une tendance à appuyer les prédicats, à revendiquer un peu trop fort, au risque d’enfermer le public dans une seule lecture possible, vient par moments gâcher un travail intelligent et talentueux qui aurait largement pu s’en passer. Reste que cet Ottone in villa s’avère décapant, toujours de façon justifiée, ce dont personne ne songerait à se plaindre.
BB