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Chroniques
Otello | Othello
opéra de Giuseppe Verdi
Voilà une prise de rôle que le public attendait avec une fébrilité bien excusable, lorsqu’on se rappelle les soucis de santé qui contraignirent le plus médiatisé des ténors d’annuler plusieurs engagements, depuis l’automne dernier. Se lancer dans l’incarnation du Maure de Venise n’a rien de routinier dans la conduite d’une carrière, cette partie étant réputée redoutable à de nombreux égards. Ses fans seront contents : Jonas Kaufmann est bel et bien sur scène… plus bel que bien, cependant. On est en effet surpris par sa conception du personnage, vraisemblablement négociée avec le metteur en scène : son Othello troque la carrure du chef de guerre pour celle du héros romantique, grand ténébreux dont la plastique se découpe avantageusement dans la lumière, mais qui décrédibilise la brutalité essentielle que Verdi a parfaitement comprise du jaloux shakespearien. Cette plaisante attitude, on la retrouve dans la voix : le ténor allemand chante prudemment, gratifiant l’aigu de cette inimitable lumière immédiatement reconnaissable, mais sans parvenir à exprimer en profondeur le combat du personnage. Rapidement, on décèle un problème dans le médium de la voix, à la limite de barytoner. Au fil de la représentation, Othello prend un peu plus de poids, notamment grâce à la direction d’acteurs qui le montre en quasi violeur de sa femme, soulignant à juste titre l’assujettissement érotique de l’accusation d’adultère sur celui-là même qui la formule. De plus en plus de mines et de grimaces amènent, pour finir, un excès tout extérieur qui laisse de marbre. Une partie du public est aux anges – ceux qui ont pu voir leur idole, en s’achetant des billets à un tarif exorbitant, il faut le signaler.
Les trois rôles principaux d’Otello comptent incontestablement parmi les plus exigeants du catalogue verdien. À l’incarnation assez insipide de Kaufmann répondent deux bêtes de scène plus que satisfaisantes. Avec son soprano avantageusement dramatique, Maria Agresta n’a rien d’une Desdemona benoîte qu’on mène tranquillement à l’abattoir. Le timbre est sensuel, presque charnel, et le chant affirme hardiment l’innocence, si fermement qu’il pourrait inviter à croire à la trahison, par paradoxe. La noirceur personnifiée, le baryton-basse Marco Vratogna, déjà applaudi à ce titre au Liceu [lire notre chronique du 29 janvier 2016], campe un Iago de feu dont la présence, magnétique, est angoissante. Les seconds rôles sont tous bien tenus, en particulier Roderigo par le vaillant Thomas Atkins, Montano par la basse généreuse de Simon Shibambu, Frédéric Antoun prêtant un ténor soyeux à Cassio. On aime aussi beaucoup l’Emilia touchante et très projetée de Kai Rüütel.
Keith Warner n’est certainement pas le vainqueur de la soirée. Dans un décor assez esthétique de Boris Kudlička, qui évolue peu sauf en recyclant certains éléments (table, murs, etc.) pour d’autres usages, d’un acte à l’autre, ou en impressionnant le regard par l’énorme proue de navire du début ou la gigantesque statue de lion de San Marco qui traverse tout le plateau, le metteur en scène semble n’avoir pas su tenir des choix cohérents. La gestique mécanique du chœur n’est plus acceptable de nos jours. Restent les costumes de style élisabéthains réalisés par Kaspar Glarner et les combats bien réglés par Ran Arthur Braun. Le vrai triomphateur, c’est Antonio Pappano ! Par une lecture preste, il enflamme la fosse, plus expressive que la production. Le chef italien propulse le drame vers des sommets, à la tête des forts bons musiciens de l’Orchestra of the Royal Opera House et des voix du Royal Opera Chorus qui affichent un grand niveau, comme d’habitude. Ainsi, quelques jours après celui de Liège [lire notre chronique du 20 juin 2017], l’Otello de Londres ne déçoit-il pas complètement.
HK