Chroniques

par michèle tosi

Mouvement autre mouvement (en forme d’étude)
l’Ensemble Intercontemporain crée sa commande à Marc Monnet

Cité de la Musique, Paris
- 24 février 2006
© albertine monnet

C’est pour Susanna Mälkki, nouveau chef titulaire de l’Ensemble Intercontemporain, succédant à Jonathan Nott, le premier concert à la Cité de la Musique, un concert qui s’inscrit dans la nouvelle série de manifestations proposées du 21 au 25 février par la salle parisienne sous le titre Le modèle classique. Née à Helsinki, Susanna Mälkki mène une brillante carrière de violoncelliste (violoncelle solo de l’Orchestre Symphonique de Göteborg) avant de suivre des études de direction d’orchestre qui lui font aborder tous les répertoires et particulièrement celui de la musique d’aujourd’hui.

Le concert débute par une création attendue de Marc Monnet. Mouvement autre mouvement (en forme d’études) réunit un cor soliste – fabuleux Jean-Christophe Vervoitte – et un petit ensemble instrumental dans une pièce qui évite toute forme concertante immanquablement liée, pour le compositeur, aux conventions musicales auxquelles il veut s’attaquer. Tournant le dos au développement, à la grande forme – ce monstre de Frankenstein, comme le disait John Cage –, Marc Monnet opte pour une succession de courts fragments très diversifiés, laissant au cor des plages solistes qui viennent rythmer un parcours volontairement cahoteux et un rien provocateur : petites marches, refrain de fanfare, rythmique très viscérale qui accuse un certain côté grotesque de la musique participent, pour l’auteur, de « ce travail de la mémoire des signes » qui, à travers des techniques simples et donc facilement perçues par le public, doit donner à l’œuvre « sa force d’invention et son pouvoir décapant ». Le message est clair, mais le risque toujours latent de donner à entendre quelque chose d’assez lapidaire qui, passé l’effet de surprise, parvient difficilement à garder notre esprit en éveil.

Comme Marc Monnet, György Ligeti recherche continuellement à écrire l’œuvre, « la vraie, celle qui n’est pas dans la répétition ou dans l’académisme ». Véritable credo artistique, son Concerto pour piano écrit en deux étapes, de 1985 à 1987, témoigne de cette indépendance à l’égard des critères de l’avant-garde traditionnelle. Prévue en trois mouvements, l’œuvre trouve sa forme définitive en 1987 en cinq mouvements que défendent avec brio l’EIC et le pianiste Hideki Nagano sous la battue très maîtrisée de Susanna Mälkki. Poursuivant ses recherches des années quatre-vingt dans le domaine rythmique, nourries par la découverte des musiques africaines sub-sahariennes, Ligeti semble parfois s’engager dans les chemins d’un ars subtilior donnant lieu à ces illusions acoustiques dont il est particulièrement friand. La présence dans l’orchestre d’un ocarina alto au côté de la clarinette et l’utilisation, dans le deuxième mouvement, du sifflet à coulisse et de l’harmonica chromatique, visent un monde sonore étrange, délicieusement détempéré et fort dépaysant. Son désir de revenir à une notion mélodique plus affirmée après la micropolyphonie d’Atmosphère entraîne Ligeti, au cours du quatrième mouvement, dans un maelström mélodico-rythmique particulièrement saisissant. C’est à une expérience d’écoute qu’il nous convie, revendiquant la complexité et l’artifice pour essayer d’abolir le temps, « le suspendre, le confiner au moment présent ».

En deuxième partie, Pulcinella de Stravinsky, donné dans la version de concert (assez rare) du ballet chanté en un tableau, illustre une fois encore le thème du compositeur et son modèle, puisque l’œuvre inaugure en 1919 la période néoclassique du musicien russe qui, durant une trentaine d’années, allait « restaurer les vieux bateaux ». Pour honorer cette commande de Serge Diaghilev qui l’incite à se tourner désormais vers les chefs d’œuvre du passé, Stravinsky se plonge dans les manuscrits de Pergolesi et s’approprie cette musique à travers une orchestration originale – un ensemble instrumental sans clarinette privilégiant un petit groupe de solistes – et quelques tournures personnelles qui en relèvent l’écriture. On se situe plus du côté des sonorités baroques que de celles de l’EIC qui, au grand complet, parvient difficilement à trouver la ductilité et le ton juste donnant toute son élégance à ce pastiche. Si les trois solistes bercent agréablement par leurs chants presque trop célèbres aujourd’hui, l’équilibre au sein des pupitres instrumentaux est parfois chaotique, et le mouvement général tiraillé par une direction un peu nerveuse finit par créer un certain malaise. On se demande alors si la verve stravinskienne n’aurait pas été mieux servie par la Suite orchestrale… c’eût été s’éloigner davantage du modèle.

MT