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Chroniques
Mitridate, re di Ponto | Mithridate, roi du Pont
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Souvent les soirées d’opéra parviennent à surprendre les attentes du critique comme celles du mélomane. Faisant le déplacement sur l’île pour plusieurs spectacles, on pensait commencer fort par le nouvel Otello de Covent Garden qu’incarnait Jonas Kaufmann et en profiter pour y voir le lendemain une mise en scène d’un quart de siècle de Mitridate, reprise pour quelques soirées. On se trompait : ce qui s’annonçait comme l’événement à sensiblement déçu [lire notre chronique de la veille], alors qu’il fallait être ce soir dans la salle, aucun doute sur cette question.
À la tête du Royal Opera Orchestra, le claveciniste et chef français Christophe Rousset fait ses débuts dans la fosse londonienne, des débuts que marque sa grande connaissance du tout premier opéra de Mozart, nourrie de ses explorations expertes du répertoire antérieur. En décembre 1770, le Salzbougeois est un bambin de quatorze ans qui, via le livret du Piémontais Cigna-Santi imaginé à partir de la version italienne de Parini, s’est emparé de la tragédie versifiée et en cinq actes de Racine (1672), ni plus ni moins. Il signe un opera seria qui, pour n’être pas un chef-d’œuvre, est bien construit et présente de bons moments d’un chant virtuose. C’est sans doute ce qui explique le bon succès qu’il connut à sa création, au Teatro ducale de Milan, l’ancêtre de La Scala – celle-ci vit le jour huit ans plus tard, inaugurée par Europa riconosciuta de Salieri. Malgré une cabale bien de son temps, Mitridate, re di Ponto a tenu l’affiche plus de vingt soirs, ce dont papa Leopold dut n’être pas peu fier. Par un travail soigné et traversé de l’urgence nécessaire, Rousset révèle une partition de théâtre qui atteint son but sans faillir.
Lui est offert, comme sur un plateau d’argent, une distribution de rêve, dominée par deux chanteurs. En Ismene, Lucy Crowe allie le sens de la scène à une technique vocale des plus cultivées, illuminant le rôle d’une grâce infinie [lire notre chronique du 3 novembre 2010]. La souplesse de sa voix fait beaucoup dans l’expression du personnage, en étonnante adéquation avec la mise en scène et la danse (nous y reviendrons). Michael Spyres compose un Mitridate très ferme qui négocie sans sourciller des intervalles parfois acrobatiques. À ce vaillant ténor, tout semble facile [lire notre chronique du 17 avril 2017] ! On est estomaqué par l’évidence de l’aigu, la couleur tellement franche et l’agilité naturelle de son incarnation, qualité que convoque le fameux air de la vengeance, si difficile pourtant.
Les autres rôles ne sont pas en reste, bien au contraire.
Salué par notre collègue à l’occasion de la parution d’un joli programme de mélodies [lire notre critique du CD], le jeune Rupert Charlesworth campe ici un Marzio de solide stature, irréprochable. On remarque le soprano irlandais Jennifer Davis dont la technique sert sans encombre la partie d’Arbace. La Géorgienne Salome Jicia dispose des moyens indispensables à Sifare, dont un aigu fulgurant. En Aspasia, on retrouve Albina Chaguimouratova, décidément grande mozartienne [lire nos chroniques de ses Reine de la nuit et Dona Anna]. Tout y est, de l’habileté à l’impact en passant par la présence théâtrale et par l’homogénéité du timbre sur l’intégralité de la tessiture. Enfin, le personnage le plus intéressant de l’argument est le méchant Farnace, confié à l’excellent Bejun Mehta, applaudi dans le répertoire baroque comme dans la création contemporaine. Le timbre est nettement caractérisé et l’expressivité superlative. Le contre-ténor déploie de grandes possibilités de nuances.
Le 5 décembre 1991, c’est-à-dire exactement deux cents ans, jour pour jour, après la disparition de Mozart, le public anglais a pu découvrir l’étrange et fascinante production de Graham Vick. L’ère baroque n’est pas loin, à juste titre puisque l’œuvre n’entre pas encore dans ce qui fera la modernité du compositeur, mais réinterprétée par l’Orient où se situe l’intrigue. Dans la lumière chaleureuse de Nick Chelton, le royaume antique se révèle comme une porte vers le plus lointain, suggéré par les couleurs très vives des costumes de Paul Brown, proches de l’Inde, se dessinant sur le rouge primaire des murs, et la chorégraphie sans cesse inventive de Ron Howell, quasiment javanaise. Très spectaculaire, le résultat affirme une originalité qui n’a pas pris une ride depuis sa création. Les chanteurs savent faire vivre ces attributs inhabituels avec une élégance plus que convaincante.
HK