Chroniques

par nicolas munck

Michaël Levinas et Jean-Luc Plouvier
création de Désinences de Michaël Levinas

Festival Messiaen au Pays de La Meije / Église de La Grave
- 2 août 2014
le pianiste Jean-Luc Plouvier, invité du Festival Messiaen au Pays de La Meije
© colin samuels

Si Messiaen et Xenakis restent incontestablement les figures centrales et privilégiées de sa dix-septième édition, le festival confirme une fois encore un attachement viscéral, teinté de militantisme, à la cause de la musique d’aujourd’hui et aux champs de la création. Pas moins de trois premières mondiales et une française, cette année, avec l’Animae pour deux mezzo-sopranos, deux cors et trombones (même effectif que le fameux N’Shima de Xenakis) du compositeur espagnol Luis de Pablo (concert capté par les ondes de France Musique), Izaaj, concerto pour violon et ensemble instrumental du tout jeune et profus Benjamin Attahir (né en 1989) et les très attendues Désinences pour deux pianos et électronique de Michaël Levinas – dont nous entendions hier soir Transir sous les baguettes desPercussions de Strasbourg [lire notre chronique de la veille].

Portés par divers ensembles et solistes, ces différents temps de création mettent par ailleurs en évidence des relations institutionnelles riches et fructueuses, menées depuis plusieurs années avec les deux CNSMD – Paris et Lyon (tout particulièrement le troisième cycle Répertoire contemporain et création de la maison parisienne) – et l’Ircam, représenté à La Grave par le réalisateur en informatique musicale Carlo Laurenzi (compositeur lui-même et guitariste), qui collabore régulièrement avec des auteurs tels que Stroppa ou Manoury, et qui déjà avait officié à La Meije en 2012 (création de Partita II de Manoury par Hae-Sun Kang).

« Il y a dans le son du piano et le battement de ses nombreuses cordes comme une inclinaison des hauteurs, des dénivellations. J’y entends comme des désinences du son : les larmes des sons ». C’est en ces termes que le compositeur et pianiste Michaël Levinas présente l’élément déclencheur de la gestation de cette œuvre nouvelle, pensée, dès le départ, dans une mise en regard (du moins dans le choix d’un effectif) des Visions de l’Amen de Messiaen.

Après la réalisation d’une première esquisse purement pianistique entre accords brisés et recherche de suspension de la résonnance, un long travail collaboratif avec l’Ircam permit le traitement spécifique de chaque hauteur (désinences, transitoires d’attaque) des deux instruments mobilisés (Steinway et pianoforte à six pédales), auxquels sont adjoints les ressources non tempérées de deux claviers MIDI. Bien qu’en situation de musique mixte, l’écriture et la relation aux potentialités offertes par le dispositif électronique semblent toujours se construire sur la perception du geste pianistique, privilégié et présenté sous différents masques et inflexions. Conformément au désormais célèbre Concerto pour piano espace de 1984, l’électronique ne doit jamais « tarir ou effacer la source instrumentale » (dixit le compositeur). Une approche, finalement, très spectrale dans la relation à l’outil, partant de l’idée que la synthèse et la complexité du sonore viennent essentiellement de la hauteur (tendant ici vers le dé-tempérament) et non d’un travail éventuel sur les modes de jeu électronique (saturation, synthèse granulaire, etc.). Passionnante et stimulante à plus d’un titre, Désinences apporte également un traitement singulier de la résonnance qui semble entretenue par effets de glissement et de substitution – une œuvre finement ouvragée, donc, qui titille tout autant l’oreille que l’intellect. Dans la posture du compositeur-interprète, Levinas et idéalement accompagné par Jean-Luc Plouvier, artiste largement investi dans les répertoires des XXe et XXIe siècles (en soliste et en chambriste).

Suite à cette création mondiale accueillie chaleureusement par les festivaliers, nos deux pianistes enchaînent avec les Visions de l’Amen. Présent à la première le 10 mai 1943, dans le cadre des concerts de La Pléiade, Arthur Honegger déclarait avoir assisté à une « œuvre remarquable, d’une grande richesse musicale et d’une vraie grandeur de conception ». La particularité de cette pièce repose, dans le déploiement de sept parties, sur une forte individualisation de l’écriture : le premier piano est essentiellement véloce et rythmique tandis que le second contient la quasi-totalité du matériau thématique. Claire et sensible, cette version gravarotte fascine par la perfection de son équilibre et une sensibilité propre à des interprètes plus qu’aguerris aux spécificités de ce répertoire. Un très beau moment !

NM