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Chroniques
Marie Hallynck et Cédric Tiberghien
œuvres de Britten, Chopin et Debussy
Coïncidence des programmes des festivals d'été en région parisienne, un mini-cycle de sonates pour violoncelle et piano s'est organisé de façon clandestine et impromptue, ce week-end entre le Festival Jeunes Talents [lire notre chronique du lendemain] et le Festival de l'Orangerie de Sceaux. Un cycle qui balaie près de cent cinquante ans de musique pour violoncelle en deux concerts, depuis la sonate de Beethoven composée en 1815 (Op.102 n°1) jusqu'à celle de Britten (Op.65, 1961) – cycle clandestin, mais qui a le mérite de couvrir des espaces esthétiques (et géographiques) fort éloignés permettant de donner un passionnant panorama des potentialités expressives de cette forme, depuis les romantiques Chopin, Schumann et Brahms (avec leurs spécificités nationales), le postclassicisme « expressif » de Beethoven, le lyrisme parfois sévère de Prokofiev et la liberté de ton de Britten, composant pour l'instrument de Mstislav Rostropovitch avec la ferveur d'un enfant génial qui découvre un nouveau jouet sur le tard.
Cette revisitation estivale du patrimoine exige pour le moins des interprètes jeunes, ambitieux, capables d'un regard plein de fraîcheur et de modernité : la moyenne d'âge des quatre interprètes n'excède pas trente ans. Si l'on ajoute à cela les cadres exceptionnels de ces deux concerts (le luxueux hôtel de Rohan, au cœur du Marais, et le somptueux parc de Sceaux), l'entreprise ne pourra être que réussie.
Du haut de ses trente-et-un ans, la violoncelliste belge Marie Hallynck a déjà reçu, dans le « plat pays » comme dans le monde entier, un nombre impressionnant de distinctions, et s'est produite avec des géants, dont Martha Argerich, Ivry Gitlis ou le Quatuor Ysaÿe. À vingt-neuf ans, si le pianiste Cédric Tiberghien regarde en arrière, il voit un Premier Prix au concours Long-Thibaud et des collaborations avec des chefs aussi prestigieux que Michel Plasson, Kurt Masur ou Myung Wun Chung. Marie et Cédric se produisent régulièrement ensemble et ont déjà eu un rejeton de plastique en 2002 : un CD Schumann et Grieg (Harmonia Mundi). Dans le récital d’aujourd’hui, ils mettent à l'honneur deux moments importants de l'histoire de la musique pour violoncelle et piano : Chopin et Britten.
On se représente souvent Fryderyk Chopin comme un musicien monomaniaque qui n'aurait pas daigné écrire pour d'autre instrument que son sacro-saint piano ; c'est ignorer la réalité de son catalogue, à commencer par sa musique pour violoncelle. Pièce de circonstance destinée au Prince Radziwiłł, violoncelliste amateur, et à sa fille, l'adolescente Wanda dont Chopin était le professeur, Introduction et Polonaise brillante en ut majeur Op.3 est une œuvre brève pleine de ferveur juvénile que Marie Hallynck animer d’une sonorité diaphane, pleine de retenue et d'un scrupuleux respect de son esprit plus que de son détail.
Le duo Hallynck-Tiberghien trouve dans la Sonate en sol mineur Op.65 (sa dernière œuvre publiée, en 1847) matière à s'exprimer pleinement, notamment dans le Largo où ils s'interdisent tout romantisme conventionnel pour mieux saisir ce qui en fait le centre : l'angoisse de Chopin face à sa propre mort, tué par la phtisie. Cette sonate s'arrache de l'esthétique polonaise (et des « poloniaiseries » diront les plus critiques) et tend vers un langage plus universel.
De même qu’Auguste Franchomme fut l'inspirateur de l’œuvre précédemment jouée, Rostropovitch fit un travail intensif auprès des plus grands compositeurs du XXe siècle afin qu'ils enrichissent le répertoire de son instrument. Ce fut le cas de Prokofiev, Chostakovitch, Dutilleux, et de Benjamin Britten. Composée en 1961, la Sonate en ut majeur Op.65 du Britannique est un morceau de bravoure d'une assez haute technicité qui rassemble, au fil de ses mouvements (dont un diabolique Scherzo écrit intégralement en pizzicati), les principales difficultés du violoncelle. Un vrai dialogue s'installe dans l'interprétation de Hallynck et Tiberghien, au-delà du caractère touffu, ludique (car Britten s'amuse, c'est audible) et dense d'écueils techniques. On a le net sentiment qu'ils ne vont pas puiser cette musique sur la partition, mais au fond d'eux-mêmes, notamment dans la Marcia que la musicienne domine de sa maîtrise et de son enthousiasme.
Le programme est complété par cinq extraits du Livre II des Préludes de Debussy. Seul en scène, Cédric Tiberghien donne le meilleur de son art et magnifie la musique du Français. Aérien mais précis dans Feuilles mortes, il semble ne pas les « ramasser à la pelle » comme disent certains, mais les saisir au vol, avec une aisance confondante. Évoluant non pas dans le brouillard d'un impressionnisme musical qui confondrait le vaporeux avec l'imprécis, mais dans une sorte de « méta-impressionnisme » structuré, il fait de La Puerta del Vino un opus plus arabo-andalou que simplement ibérique. Les fées sont les exquises danseuses ne se limite plus ici à un divertissement, même subtil. En bis, deux pièces adaptées pour violoncelle et piano par Maurice Maréchal de la Suite populaire espagnole de Manuel de Falla : bien agréable conclusion sous le soleil brûlant de l'Espagne, après les brumes debussyste et le gris Suffolk présent dans chaque note de Britten.
FXA