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Chroniques
Mahler et Prokofiev par l’Orchestre Philharmonique de Radio France
Nikolaï Lugansky au piano, Tarmo Peltokoski au pupitre
Les calendriers des salles de concert parisiennes offrent parfois des coïncidences qui permettent l’appréciation d’interprétations d’une même œuvre par différents musiciens à des temps très rapprochés. Hier soir, nous entendions Robin Ticciati jouer la Cinquième de Gustav Mahler, et ce soir, c’est Tarmo Peltokoski qui la donne. Tandis que je l’écoute à l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique, mon collègue entend à la Philharmonie la redite du concert d’hier, sous la houlette du chef britannique [lire notre chronique du jour].
Avant la symphonie du grand Viennois, nos oreilles se trouvent ouvertes par la modernité percussive du Concerto pour piano en ut majeur Op.26 n°3 que Sergueï Prokofiev a conçu en 1921 et qu’il créa lui-même avec le chef d’origine allemande Frederick Stock, alors à la tête du Chicago Symphony Orchestra – c’était le 16 décembre 1921. Après l’introduction élégiaque de la clarinette (Andante), Nikolaï Lugansky fait une entrée roborative, dans le cœur du premier mouvement, Allegro qu’il distribue avec opulence. À l’inverse, le jeune chef finlandais, que l’on put déjà entendre à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France il y a trois saisons et qui, depuis septembre dernier, mène le destin de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, entend ce concerto de manière exclusivement rythmique, le plus sèchement possible. À la délicatesse de jeu ménagée par le soliste russe à l’Andantino central et à ses variations, Peltokoski semble ne pas comprendre quoi que ce soit. Et c’est finalement dans la troisième partie, Allegro ma non troppo, que les deux artistes paraissent laisser se rejoindre leur expressivité, ou du moins en donnent l’illusion. Voilà une version sinistre et terne de l’opus 26 qu’il faudra oublier au plus vite. Au contraire de la page extraite de l’opus 21 de Rachmaninov, livrée en bis par Lugansky dans une tendresse délicieuse et une remarquable richesse lyrique.
Qu’en sera-t-il donc de l’exécution de la Symphonie en ut# mineur n°5 de Mahler, après l’entracte ?... Passé la salve nerveuse, voire instable, l’emphase de la Trauermarsch patine, comme engluée dans son propre pas. Tragique en diable, Stürmisch bewegt convainc mieux, malgré plusieurs aléas de pure mise en place qui accusent à la fois le talent du chef mais aussi son trop peu d’expérience. Mais le Scherzo, décidément, n’est que démonstration vulgaire où ne manquent que les paillettes. Moment attendu d’une grande partie du public, l’Adagietto ne déroge pas à cette maladie de l’effet en s’appuyant sur tout le pathos disponible. La fougue du Finale ne suffit pas à réconcilier avec une lecture superficielle jusqu’à l’atrocité. Une chose est sûre : Tarmo Peltokoski se lance beaucoup trop tôt dans cette œuvre. Il faut bien commencer, c’est certain, mais on peut apprendre plus efficacement avec un répertoire plus ancien, sans avoir à massacrer la Cinquième à la face du monde.
HK