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Maestro & Friends : Dimitri Bashkirov et ses disciples
Plus qu’un cycle de concerts de musique de chambre, Maestros & Friends se propose de réunir - selon la conceptrice de ce cycle présenté au Théâtre des Bouffes du Nord, Aurélie Moron, directrice fondatrice d’Arcadia Musica - les plus grands interprètes en les entourant de leur premier cercle d’amis et des musiciens qui leur sont chers, en y ajoutant quelques classes de maître. Ainsi, le premier des trois rendez-vous de la saison 2010-2011 était consacré au grand pianiste géorgien installé à Madrid, Dimitri Bashkirov, né en 1931, vainqueur du Concours Long-Thibaud en 1955. Venu en 1978 à Paris pour y donner des masters classes au CNSM de Paris, il n’y était pas retourné depuis, empêché par le régime soviétique. Pendant deux jours, à défaut de le voir jouer lui-même du piano, le public parisien a pu l’entendre prodiguer ses conseils à trois étudiants et écouter plusieurs de ses élèves et amis.
Ainsi, la master classe de dimanche après-midi a réuni Lorenda Ramou, Nathanaël Gouin et Guillaume Vincent, bien préparés mais suscitant de riches et fines observations du maître, la première dans la Sonate en la bémol majeur Op.26 n°12 de Beethoven, le deuxième dans les Fantaisies Op.116 de Brahms et le troisième dans la Sonate en si bémol mineur Op.36 n°2 de Rachmaninov. Le public s’est avéré attentif et passionné par les propos du maestro, mais l’on reste perplexe devant le peu d’intérêt dont ont fait preuve les apprentis qui, une fois la leçon terminée, ont quitté le théâtre pour vaquer à leurs occupations plutôt que d’assister au récital qui s’ensuivit, proposé par deux de leurs jeunes aînés, eux-mêmes disciples favoris de Bashkirov, et qui, à leur écoute, auraient assurément beaucoup appris.
En effet, le jeune pianiste espagnol au talent exceptionnel, Claudio Martinez-Mehner, atteste d’une rare intelligence du texte, d’un toucher d'une ductilité inouïe, d’un sens extraordinaire des couleurs qu'il exalte du clavier et d’un jeu de pédales stupéfiant. En outre,il sait construire ses programmes avec un sens des climats et de la dramaturgie évidents : après une somptueuse Partita n°4 en ré majeur BWV 828 de Bach construite comme une cathédrale, il a proposé quatre Etudes de Ligeti tout aussi admirablement jouées, commençant par la huitième, Fém, extraite du Livre II, aux couleurs dans l’esprit de la Gigue finale de la Partita, tandis que son bis, impressionnant de facilité et de suggestion, Feux d’artifice de Debussy, annonce la magie sonore et dactyle de la treizième Etude de Ligeti, le virtuosissime Escalier du diable, qui le précédait, avec, dans l’intervalle, deux Etudes du Livre I, Fanfares (n°4) et Cordes à vide (n°2).
Autre disciple de Bashkirov entendu dimanche soir, le Français de vingt-cinq ans David Kadouch, révélation musicale de l’année 2010, corpulence fine et menue, qui brosse de lumineuses et charnelles Variations en fa mineur Hob XVII/6de Haydn, tandis que les Tableaux d’une exposition de Moussorgski, quoique habitées, manquent de poids et de puissance, apparaissant peu idiomatiques. En revanche, le bref Prélude de Chostakovitch donné en bis démontre d'une affinité certaine.
Après un après-midi ayant réuni quatre cents enfants d’écoles parisienne autour de Dimitri Bashkirov et de ses amis, une longue soirée de plus de trois heures convoque sept jeunes pianistes autour du maestro, lundi soir. À l’issue d’une trop longue et superflue projection commentée de diapositives consacrées à la vie du pianiste, l’Ouzbèke Stanislav Ioudenitch (né en 1971), lauréat du Concours Van Cliburn 2001, séduit dans la Sonatine de Ravel, convainc dans quatre Valses de Chopin, enthousiasme dans l'époustouflant Petrouchka de Stravinsky, joué avec une puissance et un sens des contrastes phénoménaux, une maîtrise conquérante, une virtuosité hallucinante.
En troisième partie de soirée, un programme surprise attend le public. Partie ouverte lancée par une Sonate en ut mineur de Scarlatti trop sérieuse et un tempétueux Ce qu'a vu le vent d’ouest de Debussy par un Claudio Martinez-Mehner moins inspiré que la veille. David Kadouch brosse de solides Préludes Op.34 (dix sur vingt-quatre) de Chostakovitch, confirmant ainsi ce que l’on avait pressenti la veille dans son bis, tandis que les jumeaux espagnols Victor et Luis del Valle se montrent en totale osmose dans des pièces pour deux pianos. Invité surprise, l’Espagnol Luis Fernando Perez offre l’impressionnant Asturias d’Isaac Albéniz, avant la conclusion du concert par la pianiste bulgare Plamena Mangova et David Kadouch dans une sélection de Valses pour piano à quatre mains de Brahms, chaleureuses.
BS