Recherche
Chroniques
Les contes d’Hoffmann
opéra fantastique de Jacques Offenbach
Comme l’an dernier, l’Opéra national de Bordeaux ouvre sa saison avec Offenbach, initiative qui entre en résonance avec les célébrations du bicentenaire de l’Allemand adopté par la France du Second Empire. L’intérêt essentiel de cette nouvelle production des Contes d’Hoffmann tient d’abord au choix de se rapprocher des intentions originelles du compositeur, parfois extrapolées dans les traditions, la mort d’Offenbach avant les premières représentations n’ayant pas permis d’arrêter un état définitif de la partition qui aurait passé la rampe des répétitions – étape où le maître avait l’habitude de perfectionner sa copie. Éditée grâce au travail conjoint de Jean-Christophe Keck et de Marc Minkowski, la présente version, présentée en 2012 en concert à la salle Pleyel, est donnée pour la première fois en scène.
Si les variations sont parfois minimes dans le Prologue ou les deux premiers actes ; celui de Venise présente un visage sensiblement différent de celui inscrit au répertoire, entre autres sans l’air de Dapertutto, Scintille, diamant, tandis que l’apparition de la Voix de la mère d’Antonia est assumée par la même interprète que celle du personnage double de la Muse et de Nicklausse, tirant les conséquences d’une nomenclature dramaturgique pourtant évidente. Au delà des questions musicologiques, c’est un équilibre renouvelé dans l’œuvre qu’on redécouvre, où veine satirique et tragique empruntent même langage. À la tête d’un Orchestre National Bordeaux Aquitaine aux couleurs et à l’expressivité d’une appréciable nervosité, rehaussées par l’acoustique ciselée du Grand Théâtre, Marc Minkowski met en évidence les racines bouffes d’une inspiration transfigurée dans ce dernier opus, révélant ainsi la quintessence de l’auteur de La belle Hélène et d’Orphée aux Enfers.
Dans le rôle-titre, Adam Smith affirme un lyrisme à fleur de peau, porté par une émission discrètement veloutée qui ourle avec sensibilité l’éclat d’un timbre dont la lumière reflète la part d’ombre du héros. De l’effusion au sarcasme, le ténor britannique décline une richesse psychologique à peine émondée par les menues résistances d’une diction allophone, quoique intelligible. Assumant les trois avatars de la Stella, Jessica Pratt affronte la facture belcantiste de la partie d’Olympia en soufflant de délicats piani secondés par une belle maîtrise de la ligne, laquelle sert l’investissement dramatique d’Antonia, avant les moires des séductions courtisanes de Giulietta.
La cohérence du kaléidoscope vocal se retrouve dans l’homogénéité charnue d’Aude Extrémo en Muse et Nicklausse comme en fantôme de la Mère, sans que le mezzo français ne discrimine artificiellement le genre de ses apparitions – l’allure féminine des trois résout le problème des conventions. Si les ans polissent le solide aplomb de Nicolas Cavallier, son quatuor diabolique, de Lindorf à Dapertutto en passant par Coppélius et Miracle, ne manque jamais de mordant, magnifié par une déclamation sans reproche. Avec une sobriété gourmande Marc Mauillon détaille les infirmités de Frantz et de Cochenille, sans oublier Andrès et Pittichinaccio. Éric Huchet se glisse avec un instinct sûr dans les vêtements de Nathanaël et Schlémil, quand le Spalanzani de Christophe Mortagne complète une galerie de ténors aux identités reconnaissables. Également Luther, Jérôme Varnier impose un Crespel paternel à la tendresse parfois presque patriarche. Mentionnons encore les interventions estimables de Clément Godart (Hermann, Wilhelm et Capitaine des sbires). Préparé par Salvatore Caputo, le Chœur de l’Opéra national de Bordeaux s’investit dans son office.
La mise en scène de Vincent Huguet célèbre à satiété Bordeaux et son Grand-Théâtre, dont le hall et le grand escalier sont reproduits par le décor d’Aurélie Maestre. Les costumes de Clémence Pernoud développent un camaïeu de rouges jusqu’à la lie-de-vin, laissant distinguer par ailleurs le bleu-vert des tentures de la salle de Victor Louis. Les lumières de Bertrand Couderc accompagnent les habiles jeux de coulisses et d’envers de décor, et une démultiplication spéculaire qui rappelle le spectacle de Robert Carsen à Bastille, jusqu’à l’épure finale du plateau dans sa nudité technique, révélation efficace et attendue des illusions du théâtre et de l’amour. La réussite scénographique fait fi des exigences inflationnistes des coproductions du monde lyrique, avec lesquelles l’équipe artistique, en partie formée au creuset d’Aix-en-Provence, est pourtant familière. Puisse au moins la version Keck/Minkowski ne pas rester prisonnière de la fierté girondine.
GC