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Chroniques
Les aveugles
opéra de Xavier Dayer
Créé à Paris en 1891, Les aveugles de Maurice Maeterlinck, dédié à Charles van Lerberghe, remportait un succès relatif que le temps ne confirmera pas. Il faudrait attendre plusieurs décennies avant qu’une nouvelle génération de metteurs en scène s’y penche à nouveau. Depuis les années quatre-vingt, la pièce retrouve les planches, inspirant aujourd’hui les musiciens. Tandis qu’il n’y a pas si longtemps Beat Furrer signait Die Blinden, Xavier Dayer en livre ces jours-ci sa vision, précisant le rôle du chant dans son opéra comme « un mantra que l’on se répète dans le silence et le noir de la nuit… [lorsque] …nous tentons de contrer l’angoisse ».
Lentement, douze chanteurs de blanc vêtus entrent en scène, femmes d’un côté, hommes de l’autre. Pour les accueillir, la scénographie de Gérard Didier a imaginé une forme de feuille bleuâtre et dorée, révélée par les lumières de Dominique Bruguière, barque où siègent quelques tabourets bas, conduite par une maigre silhouette raide et grise, assise en contrebas, côté jardin. Les silhouettes y prennent place pour attendre le retour du prêtre qui les guide, parti chercher du pain et de l’eau. Le départ violent de la musique, conçue pour une formation chambriste, scelle l’arrivée de l’impatience. Les uns s’étaient assoupis, les autres veillaient. La plupart connaissent une cécité absolue ; celle-ci y voit un peu, mais elle est folle ; un autre distingue un rai de lumière. Ils ont quitté l’hospice pour une promenade sur l’île, mais sont incapables d’y retourner par eux-mêmes. Le livret du compositeur reste proche du texte de Maeterlinck, de même que la vocalité choisie lui vient du parler, assez naturellement ; une facture plus complexe est réservée aux ensembles féminins.
Dans le cadre du nouveau programme pédagogique (mise en place l’an dernier) de l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris, les rôles ont été confiés à de jeunes artistes y perfectionnant leur formation. La représentation témoigne d’un fort beau travail de préparation où la diction ne passe jamais à la trappe, et l’on apprécie l’équilibre des timbres et de leur impact. Plus particulièrement, on aura remarqué l’inquiétante incarnation de l’Aveugle folle à laquelle peu de chant est accordé, mais pour sa grande présence scénique – Diana Axentii –, l’attachante Jeune aveugle (identifiant l’asphodèle comme fleur des morts) d’Elisa Cenni, la santé du Premier aveugle-né d’Ugo Rabec, fort efficace, et la claire gracilité du chant de Joel Prieto en Sixième aveugle.
Au fil des quatre-vingt minutes que dure le spectacle, la feuille-plateau se percevra plus précisément comme la barque de Charon, le dispositif soulignant le texte avantageusement servi par la direction d’acteurs attentive de Marc Paquien. Le temps passe, la nuit tombe peut-être, peut-être le jour se lève-t-il. L’on vit l’attente, la tempête, la course des feuilles mortes sous le joug du vent, le retour du bon chien, allant retrouver son maître… mort à quelques pas de ses ouailles. Les religieuses de l’hospice ne sortent jamais. Les gardiens du phare ne quittent pas leur tour. Personne ne viendra plus. Le seul être voyant de cette équipée est un nourrisson encore muet qui ne saurait marcher. La feuille vogue sans pitié vers l’autre monde, la battue de Guillaume Tourniaire à la tête de l’ensemble Cairn soutenant les derniers instants d’un peuple condamné.
BB