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Le trouvère (version française)
opéra de Giuseppe Verdi
Ce vendredi soir, poursuivons la belle exploration de l’univers verdien via le passionnant Festival Verdi ! Après le rare Giorno di regno à Busseto puis, au Teatro Regio de Parme, la version originale florentine de Macbet [lire nos chroniques de l’avant-veille et d’hier], c’est au somptueux Teatro Farnese que nous découvrons la mouture française du Trovatore. Cet opéra créé à Rome le 19 janvier 1853, en italien, fut adapté quatre ans plus tard dans notre langue pour sa présentation à l’Opéra de Paris le 12 janvier 1857. À cette occasion, Émilien Pacini (1811-1898), à qui l’on doit la version française du Freischütz de Weber revisité en 1841 par Berlioz [lire notre chronique du 9 avril 2011], puis Erostrate de Reyer (1862), traduisit, et même remania le livret de Salvatore Cammarano (1801-1852) – rien à voir avec la première parisienne de 1853, en italien, qui ne pouvait s’inscrire dans la mode du Grand opéra ni satisfaire à ses conventions. En 1857, non seulement Verdi sacrifie à l’autel du ballet obligatoire, avec une musique percluse de folklorismes plus ou moins savoureux, mais il adoucit son orchestration, flattant les Français dans le sens du poil (des oreilles !). Comme pour Macbet, on joue l’édition critique de David Lawton, publiée par les Chicago University Press et Ricordi (Milan).
Vous avez bien lu : le titre de l’article est donc Le trouvère et non Il trovatore. Du coup, la diction française se fait un des éléments importants de la représentation. À ce titre, l’effort des chanteurs est étonnant, avec les deux grands rôles masculins dont on comprend parfaitement le texte, sans avoir à lever les yeux vers le surtitre. Ce n’est malheureusement pas le cas des autres protagonistes, dont le soprano-vedette, difficile saisissable. Souvenons-nous alors d’être là pour les voix et que d’habitude il ne paraît pas gênant qu’elles s’expriment en italien.
Voix très directionnelle et timbre brillant, le ténor Giuseppe Gipali, volontiers salué dans nos colonnes [lire nos chroniques du 21 mars 2014, du 3 mai 2011, du 25 février 2009, du 7 juin 2007, des 9 avril et 4 mars 2005], campe un Manrique lyrique, vaillant et stylé, d’un format un peu sous-dimensionné mais particulièrement souple dans les demi-teintes et les nuances. La couleur est franche, égale sur tout le registre. Applaudissons la stabilité exemplaire du phrasé. En Comte de Luna, si détestable, l’on retrouve l’éminent Franco Vassallo, quintessence du baryton verdien ! La solidité à toute épreuve de cette grande voix satisfait pleinement en elle-même et plus encore dans un rôle ici conçu comme un vampire. Donné dans une tendresse adroitement maintenue, l’air Son regard, son doux sourire fait bel effet [lire nos chroniques des 1er octobre et 26 avril 2017, du 11 avril 2016, du 22 juillet 2014, des 25 juillet et 26 janvier 2011]. La partie de Fernand est confiée à l’excellentissime Marco Spotti, sorte de spectre à la présence glaçante, merveilleusement servi par une basse précise à la ligne rigoureusement conduite [lire nos chroniques du 20 mars 2018 et du 12 décembre 2017]. Le mezzo géorgien Nino Surguladze livre une Azucena noire comme l’enfer, certains moments à la limite de la raucité. D’immenses moyens vocaux favorisent les audaces qu’elle prend avec la nuance. Les personnages secondaires sont eux aussi bien assumés, qu’il s’agisse du baryton-basse Nicolò Donini, irréprochable en Vieux Tsigane [lire notre chronique du 17 août 2018], du jeune mezzo Tonia Langella en Inès qu’on remarque plus que de coutume, ou du Ruiz bien chantant de Luca Casalin [lire notre chronique du 24 octobre 2014]. Une voix domine la soirée, une voix immense, pleine, généreuse, dont la dépositaire use avec une technique étonnement maîtrisée pour son âge : le soprano dramatique Roberta Mantegna est une Léonore virtuose qui donne le frisson, grâce à un chant toujours soigneusement lié, souverain. Une diva qu’il faut suivre, vraiment !
À la tête des Orchestra e Coro del Teatro comunale di Bologna (institution en coproduction sur ce spectacle), Roberto Abbado, le nouveau directeur musical du Festival Verdi, mène magistralement ce Trouvère, en prenant garde à la petite réverbération de ce lieu magique où nous avions vu, l’an dernier, le passionnant Stiffelio de Graham Vick [lire notre chronique du 30 septembre 2017]. Loin de se contenter d’une lecture contrastée qui manipule aisément les contrastes et les tensions, Abbado offre une interprétation investie chaque instant dans le drame, au plus proche de la respiration des chanteurs, à la subtilité hors du commun, également à l’œuvre dans le ballet [lire nos chroniques de Mosè in Egitto, Norma, I vespri siciliani et Le siège de Corinthe]. La réussite est certaine !
Peut-on en dire autant de la proposition de Robert Wilson ?
Comme souvent, il signe plus une scénographie qu’une mise en scène, un bel écrin, très esthétique, que les personnages occupent dans une lenteur étouffante, à mi-chemin entre la mise en espace et l’immobilisme de l’oratorio, voire la chorégraphie paraplégique. Au public de se concentrer sur la musique, donc, et de faire fi de l’absence absolue de tout contact entre les protagonistes – jamais ils ne se regardent – et du quadrilatère grisâtre où sont projetés des images de la ville au crépuscule du XIXe siècle (vidéo de Tomek Jeziorski). Une grammaire de symboles s’y décline au fil de l’action, solutionnant le ballet par une horde agitée de boxeurs – un moment rafraichissant en ce qu’il rompt le lourd statisme du spectacle. Ce n’est pas désagréable… et ce n’est pas agréable pour autant.
KO