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Chroniques
Le postillon de Lonjumeau
opéra-comique d’Adolphe Adam
Créé en 1836 à la Salle de la Bourse où résidait alors la troupe de l’Opéra Comique, Le postillon de Lonjumeau, malgré un succès triomphal du vivant d’Adolphe Adam, ne fut jamais repris en France, alors qu’il fut souvent donné à l’étranger où le compositeur, amateur de grands voyages, était adulé. Le doyenné de Lon[g]jumeau, situé dans la banlieue sud de la capitale, lui en fut reconnaissant en élevant une statue du héros qu’on peut encore admirer, place de la Mairie – oui, vous avez bien lu : la ville de Longjumeau était orthographiée sans la lettre G, à l’époque. Adam, prolifique musicien à succès à qui l’on reconnaîtrait aujourd’hui un sens aigu du marketing, savait enchanter un public friand de musique facile, d’histoires drôles à rebondissements mêlées de virtuosités vocales. Il écrivit quarante-six opéras, quatorze ballets dont le célébrissime Giselle [lire notre chronique du 15 janvier 2006], et des dizaines de mélodies dont la plus connue est Minuit chrétien. Il savait flatter le talent des chanteurs en valorisant leurs prouesses, faisant siens les goûts et caprices de l’époque [lire nos chroniques du Farfadet et du Chalet].
Le Postillon est un ténor à l’ambitus impressionnant, qui doit aisément atteindre contre-ut et contre-ré. Madeleine est un soprano colorature constamment sollicitée par des vocalises et des notes piquées, particulièrement délicates. Si certains airs semblent issus de ritournelles du folklore français, d’autres sont dignes des envolées belcantistes d’un Rossini ou d’un Donizetti, très en vogue pendant la Monarchie de Juillet. Rassurez-vous, il s’agit plus d’une comédie de boulevard que d’un drame. Chapelou, un postillon à la voix d’or, épouse Madeleine. Les deux fiancés ont consulté des voyants qui les découragent. Survient le marquis de Corcy, maître des menus plaisirs de Louis XV, en panne d’attelage, qui enlève Chapelou à sa belle et en fait le plus grand ténor de la cour. Dix ans plus tard, Chapelou, devenu Saint Phar, tombe amoureux d’une grande dame : Madame de Latour n’est autre que Madeleine qui a hérité d’une de ses tantes. Pour se venger d’avoir été abandonnée, elle convainc l’ex-postillon de l’épouser. Devenant bigame, de fait, il risque la pendaison réclamée par le marquis qui veut épouser la belle…
On est ici au cœur de l’opéra-comique à la française et non de l’opérette, comme on le prétend parfois. Il n’y a que deux rôles très exposés, celui du ténor et de la soprano qui sont, comme toujours, contrariés dans leurs amours par un baryton retors, prétentieux mais sympathique, ici parfaitement interprété par Franck Leguérinel [lire nos chroniques du 19 juin 2005, des 10 mars et 19 avril 2006, des 23 et 25 mars 2010, du 5 mars 2011, du 4 avril 2016 et du 12 février 2017]. Il y a aussi Biju, l’ami forgeron de Chapelou, devenu Alcindor à Paris, très bien campé par Laurent Kubla [lire nos chroniques des 4 février et 26 juin 2014, du 17 mars 2016, des 23 février et 1er décembre 2018].
Mademoiselle Rose apparaît au lever de rideau du deuxième acte : la suivante-duègne de Madame de Latour est, comme sa maîtresse, vêtue d’une somptueuse robe rouge à panier de Christian Lacroix qui signe les superbes costumes aux coloris extrêmement contrastés, dans l’esprit du XVIIIe siècle, avec ce grain de folie qui apporte encore plus de vie et d’animation à l’œuvre. La Salle pouffe : c’est bien Michel Fau qui s’est accaparé ce rôle à l’origine quasi-muet qu’il transfigure en pivot de l’œuvre. Le truculent acteur offre l’une de ses mises en scène les plus abouties et les plus hilarantes par sa quête d’un humour jamais vulgaire et d’un comique de situation burlesque que magnifie la beauté des décors de son complice Emmanuel Charles, en parfaite osmose avec les costumes bigarrés [lire nos chroniques de Madama Butterfly, Ciboulette et Ariadne auf Naxos]. On n’oubliera pas la pièce montée géante sur laquelle sont juchés les fiancés et leurs invités, le carrosse démesuré du marquis de Corcy dans lequel défilent les filles du village, à la façon des Marx Brothers du film de 1935, A night at the opera, le décor figurant un Zodiaque stylisé qui fixe le destin des amoureux.
Le couple vedette est fabuleux. C’est l’excellent Michael Spyres, grand spécialiste du répertoire français, qui reçoit un triomphe largement mérité, tant son interprétation du rôle-titre est absolument exceptionnelle. L’opéra contient de nombreuses scènes parlées où son français est parfait, avec un très léger accent. Sa présence, son jeu d’acteur et la beauté du chant en font un atout indispensable de cette nouvelle production. Ses fameux contre-ut et contre-ré sont émis à la perfection, sans utiliser la voix de tête. L’écriture belcantiste de certains passages ne lui pose aucun problème [lire nos chroniques de La damnation de Faust au Festival Berlioz et à Angers, Carmen, Mitridate, Les Troyens, Vasco de Gama, La favorite, Fidelio et Lélio]. Ici, le suraigu se fait même arme de séduction. Face à lui, Florie Valiquette ne démérite pas, loin de là. Le soprano québécois fait des débuts remarqués à Paris. Sa beauté et son tempérament, alliés à une colorature facile et capable des plus redoutables acrobaties vocales, en font une partenaire idéale. Elle compose deux Madeleine différentes, de la petite paysanne gouailleuse à la noble dame de la cour.
À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen-Normandie et de l’excellent Chœur Accentus, en grande forme, Sébastien Rouland mène avec passion et engagement cette partition trop longtemps négligée. Le chef français l’adore et la connaît par cœur – il accompagne les chanteurs en fredonnant tout le livret ! Encore une résurrection d’une œuvre patrimoniale que l’on doit à l’Opéra Comique qui s’est donné les moyens nécessaires à une réussite exemplaire. Le public de cette première ne s’y trompe pas : comblé, il multiplie ovations et rappels. Une soirée triomphale, à l’actif de cette indispensable institution.
MS