Chroniques

par hervé könig

Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Royal Opera House, Londres
- 11 juillet 2023
À Londres, reprise réussie des NOZZE de McVicar avec Mattia Olivieri...
© clive barda | roh

En 2006, pour l’Année Mozart (deux cent cinquantième anniversaire de sa naissance), Covent Garden confiait à David McVicar une nouvelle production des Nozze di Figaro. Depuis, celle-ci fut maintes fois reprise, si bien qu’elle pourrait bien sembler la préférée de la maison londonienne. Quinze ans plus tard, avec cette énième série de représentations pour laquelle le metteur en scène écossais est venu répéter [lire nos chroniques d’Agrippina, L’Incoronazione di Poppea, Giulio Cesare in Egitto, Das Rheingold, Salome, Die Walküre, Faust, Orlando, La clemenza di Tito à Aix-en-Provence, Die Meistersinger von Nürnberg, The rape of Lucretia, Les Troyens, Adriana Lecouvreur, Roberto Devereux, Gloriana et Médée], elle atteindra ses quatre-vingt-seize soirées, ce qui n’est pas rien. La transposition dans un manoir français à la fin du règne des Bourbons, alors que se prépare la révolution de Juillet qui mettra sur le trône un d’Orléans, Louis-Philippe, a fait couler beaucoup d’encre et grincer quelques mâchoires. À l’heure d’aujourd’hui, le public l’a entièrement acceptée, à ce point qu’elle fait figure de classique. Il faut dire qu’elle est particulièrement ingénieuse, avec ses différents espaces de jeu, et que la qualité esthétique est au rendez-vous, avec les costumes soignés et les décors majestueux de Tanya McCallin qui reconstituent un manoir français du siècle des Lumières, quatre décennies après leur effondrement. Dans ce contexte précis, le persiflage de la maisonnée imaginé par Beaumarchais puis concentré et renchéri par Da Ponte transpire d’une remise en question perpétuelle du comte dont une émeute venue au bon moment renverserait facilement la position sociale. Au barbier de jouer les fins médiateurs et d’assurer par là une réforme des rôles d’autant plus certaine qu’elle s’effectue en souplesse et dans la proximité d’une comtesse qui ne l’était pas par la naissance : au final, c’est la honte et la nécessité de demander pardon qui auront raison de l’aristocrate. La fluidité incroyable des mouvements d’ensemble, réglés par la chorégraphe Leah Hausman, continue d’étonner. Le travail de lumière de Paule Constable dessine un ciel heureux à cette folle journée.

Si l’emploi d’un pianoforte plutôt que d’un clavecin dans les recitativi est un choix musicalement intéressant et juste d’un point de vue historique – Mozart, comme Haydn d’ailleurs, travaillait sur un instrument Walter et connaissait fort bien le facteur Johann Stein d’Augsbourg où exerça longtemps Leopold –, on comprend mal ce qui a décidé de faire l’impasse de deux arie et de bouleverser l’organisation formelle de l’Acte III. D’autant que la dramaturgie, parfaite sans cela, ne s’en trouve pas mieux lotie. À la tête de l’Orchestra of the Royal Opera House, la cheffe allemande Joana Mallwitz joue la carte de la prudence et de l’équilibre pour soutenir avec habileté un plateau effervescent [lire nos chroniques de Guerre et paix et de Die Zauberflöte].

La distribution vocale ici réunie assure une grande cohésion dramatique à l’entreprise, chacun conjuguant des talents de chanteur et de comédien. Le baryton robuste de Mattia Olivieri, charismatique en diable, est à la fête en Figaro ! Avec une énergie toute personnelle, il dévore le texte avec une ardeur et une adresse qui font plaisir à entendre comme à voir. La voix est grande et s’orne d’un timbre coloré qui permet une expressivité de chaque instant. Quant au chant, une présence à chaque intention met en action une inventivité fabuleuse qui donne tout son poids humain au personnage caractérisé par son panache [lire nos chroniques de Turandot, des Vêpres siciliennes et de La bohème à Amsterdam et à Munich]. On retrouve aussi le soprano Siobhán Stagg en Susanna d’une grande facilité vocale qui se joue de tous les obstacles avec l’air de s’en amuser [lire nos chroniques de Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna, Alcina, Die Zauberflöte, La bohème à Berlin, Requiem et Fidelio à Genève puis à Paris].

Avec un tel duo, difficile de tirer son épingle du jeu… La Comtesse très humaine et fort émouvante de Hrachuhí Bassénz élève cependant la ligne de chant avec maestria, bien que le timbre ne se laisse pas d’emblée identifier comme potentiellement mozartien. On la préfère haut la main au Comte de Stéphane Degout, le baryton français subissant sans doute une mauvaise forme passagère, car l’intonation n’est pas stable et le fort appui sur le jeu, souvent au détriment de la musicalité, n’arrange guère les choses. Crédible et efficace, Anna Stéphany s’avère un Cherubino élégant qui convainc [lire nos chroniques de To be sung, Symphonie Op.125 n°9 et Cendrillon]. Luxueusement distribuée en Marcellina, Dorothea Röschmann livre une nouvelle fois une prestation infiniment soignée qui, elle, se trouve droit dans l’impact mozartien [lire nos chroniques de La clemenza di Tito à Salzbourg, Symphonie n°4, Die Dreigrochenoper, Das klagende Lied, Fierrabras, Don Giovanni, Alceste et Le nozze di Figaro]. Les rôles secondaires ne sont pas en reste, qu’il s’agisse du Bartolo savoureusement abyssale de Maurizio Muraro, du Basilio solide de Krystian Adam ou encore de la Barbarina délicatement aérienne de Sarah Dufresne. Des Noces passionnantes, donc, que l’on peut encore voir jusqu’au 22 juillet : courez-y !

HK