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Chroniques
Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Une nouvelle production d’un ouvrage du répertoire à l’Opéra national de Paris fait toujours événement. En confiant celle des Nozze di Figaro à l’ingénieuse Netia Jones, la maison ne s’est pas trompée. Confirmant un sens aigu du théâtre servi par une inventivité qu’elle a grande, mais aussi une affinité mozartienne [lire notre chronique de Die Zauberflöte], la metteure en scène livre une approche enlevée, utilisant au maximum la scénographie dont elle est elle-même la signataire. Les premiers instants, ceux de l’Ouverture où l’on découvre le dispositif, créent une distanciation qui autorise d’autant plus un traitement classique une fois installés la scène et ses protagonistes. Ici, tout repose sur une mise en abime qui, pour prendre appui dans un souvenir baroque clairement identifié (Georges Forastier, Le théâtre dans le théâtre, Droz, 1996), convoque la technologie de notre aujourd’hui. Ainsi aborde-t-on les acteurs sur leur lieu de travail, avec les cloisons des loges qui viennent dessiner l’espace de jeu dès la fin de l’Ouverture. Agrémentée de quelques discrets inserts vidéastiques, la proposition frémit de trouvailles innombrables, toutes d’à-propos et, surtout, pleines d’esprit.
On n’en finirait plus d’énoncer les réussites à nous mettre de si bonne humeur, quand voilà longtemps qu’on ne souriait plus à voir et revoir l’œuvre. On garde une mémoire presque affectueuse pour la bataille verbale de Marcellina et Susanna, nettement plus physique sur l’écran qui la surplombe, selon un procédé qui, pour n’être certes point tout neuf, fonctionne à merveille. La mise en place, parmi le personnel du théâtre, d’un mouvement de protestation contre le harcèlement sexuel, témoigne d’un sain humour. De fait, l’œil croise çà et là bien des situations où le scabreux menace, comme ces auditions un rien parfumées d’une sensualité inquiète. Après l’effondrement des lettres du libretto, de retour d’entracte le public découvre un plateau largement ouvert, cette fois : c’est dans le magasin de costumes qu’Almaviva, saisissant le piège qu’on lui tend, exprime sa colère enfantine de coquelet abusé. Après que la fameuse scène de la Contessa a occupé la grande loge de chœur, le dépit du barbier renoue avec le graphisme particulier du lever de rideau. Une étroite fenêtre s’ouvre en fond de plateau pour le final : sous les lustres et face aux glaces, les ballerines se préparent.
La distribution vocale, tant investie dans la musique que dans le théâtre, n’apporte que satisfaction. Si l’Antonio de Marc Labonnette ne démérite pas [lire nos chroniques de Don Giovanni, Castor et Pollux et Trompe-la-mort], Christophe Mortagne, sous de faux airs d’Alfred Brendel, campe un Curzio irrésistible [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Mignon et Les contes d’Hoffmann]. Michael Colvin prête à Basilio un timbre fulgurant et un abattage certain [lire nos chroniques de Lear, Peter Grimes et Œdipe]. La partie de Bartolo n’est pas en reste, avec le sonore James Creswell qui sait rendre sa basse redoutablement insidieuse [lire nos chroniques de Die Meistersinger von Nürnberg, Das Rheingold, Die Walküre, La forza del destino et Gloriana]. On retrouve avec bonheur l’agile Xenia Proshina en attachante Barbarina [lire notre chronique de The rape of Lucretia]. Enfin, l’excellente Dorothea Röschmann accorde à Marcellina une présence plus profonde qu’à l’accoutumé, ainsi qu’une onctuosité qui déjà la caractérise en mère de Figaro lorsqu’elle s’en croit encore l’amoureuse [lire nos chroniques de La clemenza di Tito, Symphonie n°4, Die Dreigrochenoper, Das klagende Lied, Fierrabras, Don Giovanni et Alceste].
Le quintette de tête fait lui aussi grand effet. À commencer par Cherubino remarquable de Lea Desandre : outre la stabilité vocale indéniable, saluons la composition du rôle, ado’ désemparé par de nouveaux émois, toujours dans les pas du Conte – Strauss se souviendra de lui cent vingt-cinq ans plus tard dans son Rosenkavalier. Et quel Conte ! Avec une émission dans effort, un phrasé évident, Peter Mattei donne un Almaviva idéal [lire nos chroniques de Lyrische Sinfonie, Don Giovanni, Tannhäuser à Berlin et à New York, De la maison des morts et Parsifal]. L’exquise Maria Bengtsson nuance soigneusement la Contessa, avec la complicité du chef, en parfaite intelligence avec sa conception très sensible du rôle [lire notre chronique de Peer Gynt]. Vivement applaudie à la Bayerische Staatsoper il y a quelques années, la jeune Anna El-Khashem conduit admirablement sa Susanna [lire nos chroniques de Der zerbrochene Krug, Mavra et La fiancée vendue]. Égal à lui-même, le baryton-basse Luca Pisaroni honore sur scène le rôle-titre qu’il a si bien servi au disque [lire notre critique du CD]. Drôle et facétieux comme il se doit, son Figaro est aussi touchant dans ses moments de rébellion et de tristesse.
Au pupitre d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris survolté par l’urgence dramatique, Gustavo Dudamel signe une lecture tonique mais sans excès, attentive aux équilibres avec le plateau mais aussi au sein de la formation instrumentale, dans une sonorité presque contrite. Vive et délicate, son interprétation sert au mieux l‘aventure mozartienne.
BB