Chroniques

par françois cavaillès

La scala di seta | L’échelle de soie
farsa comica de Gioachino Rossini

Opéra national de Paris / Athénée Théâtre Louis-Jouvet
- 29 avril 2023
LA SCALA DI SETA de Rossini par les jeunes voix de l'Opéra de Paris
© vincent lappartient | opéra national de paris

L’Athénée Théâtre Louis-Jouvet présente cette soirée comme une chance pour les artistes de l’Académie de l’Opéra national de Paris de transformer un « tremplin en une courte échelle vers les sommets du lyrisme ». Voilà un jeu de mots qui met d’autant en valeur le livret de la farsa comica en un acte du jeune Rossini, créée à Venise en 1812 et inspirée par les vers de François de Planard (L’échelle de soie, 1808). L’image de l’échelle vient illustrer à point nommé l’intérêt de ce rendez-vous lyrique, à voir comment, dans l’étonnant tableau de Jean-Michel Basquiat Anybody Speaking Words (1982), elle suggère si bien l’idée de tessiture, au sein d’une preste signalétique de la cage thoracique. En les jaugeant jusqu’au fond de leurs moyens vocaux, La scala di seta, joyeux exercice imposé, doit servir de faire-valoir à ces jeunes pousses, ou au moins de confirmation de leur talent.

Ainsi l’attention se focalise-t-elle d’abord sur le couple amoureux central. Les interprètes sont loin de décevoir. D’emblée très énergique, capable de légères vocalises joliment enflammées, Margarita Polonskaïa (Giulia) parvient vite à incarner la prima donna. L’air Il mio ben sospiro e chiamo est très émouvant, chaque note savamment remplie pour tracer la ligne claire d’un amour idéalement exprimé entre retenue et élan vital. Puis, pour lancer le finale, son soprano bien déployé est la source diffuse de l’échelle onirique qui vient se dresser ultimo. Pour jouer Dorvil, son époux secret, le ténor Laurence Kilsby [lire notre chronique de L’incoronazione di Poppea] paraît immédiatement habile et plaisant dans l’intimité d’un excellent récitatif comique, juste après la laborieuse conclusion collective de la Scène 1. La bonne impression demeure face à l’air Vedro qual sommo incanto, princier et saisissant. Le jeu comique plaît, tonique et expressif au fil des équivoques.

Dans des personnages de complément, qui brillent dans des ensembles pleins de cohésion et de puissance, le ténor Thomas Ricart (Dormont) s’impose avec fermeté et naturel [lire notre chronique d’Il Nerone], tandis qu’Alejandro Baliñas Vieites campe le primo buffo Blansac avec aplomb et chaleur. C’est une authentique basse, ce qui surprend beaucoup dans ce rôle. Plus que correct dans le rythme et dans l’intonation en duo avec Giulia, Yiorgo Ioannou s’exprime volontiers dans le registre bouffe en tant que Germano, le domestique. Stable et droit dans l’émission, le beau bois de baryton réussit à donner une couleur romantique à l’air Amore dolcemente. De même la Lucilla du mezzo Marine Chagnon réussit-elle par la drôlerie, tout en apportant une touche glorieuse originale à Sento talor nell’anima.

Même en effectif de chambre, l’Orchestre-atelier Ostinato et quelques musiciens en résidence à l’Opéra national de Paris ne déparent pas, notamment dans la Sinfonia. Le hautbois semble merveilleux, l’orchestration délicieuse et les appogiatures des bois fort claires. Après une réexposition bien assurée, la coda est – hélas ! – sabotée par la scène crue servie aussi sec sur le lit. Au cours de l’intrigue, les récitatifs sont accompagnés avec justesse et espièglerie au pianoforte. La direction musicale d’Elizabeth Askren satisfait, en particulier dans le grand art du crescendo, les cadences subtiles et l’intensité implacable du final, en dépit du manque de volume des cordes.

À la mise en scène, Pascal Neyron réussit une nouvelle incursion dans l’humour potache et bon enfant, avec de vrais plaisirs théâtraux et le triomphe frénétique du collectif, pour la grande joie du public [lire nos chroniques du Farfadet et du Carnaval (gastronomique) des animaux]. Dans les performances individuelles, outre le côté trivial de Germano, certains évoluent parfois entre rires et larmes, en plein dans le malentendu. Ce jeu bref et intéressant se remarque chez Giulia et Blansac.

Dans un décor cosy et dynamique qu’a conçu Caroline Ginet [lire notre chronique de Lakmé], dont tout paraît en miniature au début, les costumes signés Sabine Schlemmer sont à l’avenant, en une jolie gamme ambrée, mais aussi avec des écarts improbables et savoureux – Maurine Baldassari a réalisé postiches et perruques géantes. Les lumières de Florent Jacob participent à l’efficacité de la farce comme à la révélation d’un fond poétique, fidèle à la sensibilité nostalgique de Rossini – ainsi, lorsque Dormont découvre le pot aux roses, un thème chantant du siècle passé traverse-t-il l’orchestre.

FC