Chroniques

par irma foletti

La fanciulla del West | La fille du Far West
opéra de Giacomo Puccini

Opéra national de Lyon
- 15 mars 2024
"La fanciulla del West" de Puccini à l'Opéra national de Lyon, mars 2024
© jean-louis fernandez

Pour cette édition intitulée Rebattre les cartes, l’Opéra national de Lyon débute son festival annuel avec La fanciulla del West de Puccini. En cette année de commémoration de la disparition du compositeur toscan (1858-1924), on apprécie le choix courageux de ce titre, pour plusieurs raisons, et d’abord pour son originalité qui change de l’habituel carré de chefs-d’œuvre – La Bohème, Tosca, Madama Butterfly et Turandot. Créé en 1910 au Metropolitan de New York, l’ouvrage est en effet d’une grande rareté dans l’Hexagone, à tel point qu’il s’agit, ce soir, de son entrée au répertoire de l’institution lyonnaise. Et puis, le thème Rebattre les cartes s’applique directement au livret de Carlo Zangarini et Guelfo Civinini, qui déroule les faits aux temps de la ruée vers l’or : au premier degré d’abord, au cours de la dramatique partie de poker entre Minnie et Jack Rance, et puis lorsque Minnie parvient, in extremis, à émouvoir les mineurs et à sauver ainsi son aimé Ramerrez, alias Dick Johnson, de la pendaison qui lui était promise.

La mise en scène de Tatjana Gürbaca [lire nos chroniques de Parsifal, Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna, Jenůfa et Katia Kabanova] est, somme toute, assez traditionnelle, sans grande actualisation ni originalité particulière, sinon la scénographie de Marc Weeger qui place l’action en extérieur, pour l’essentiel, au gré des modifications d’agencement des décors. Le saloon La Polka du premier acte est ainsi à l’air libre, un peu de sable bordant le comptoir installé en travers, où l’on sert le whisky et où l’on joue aux cartes. On remarque à l’arrière un grand cylindre suspendu, énigme qui se résout d’elle-même au deuxième acte quand cet élément vient se poser sur un haut podium pour figurer la cabane de Minnie, une habitation aux allures de kiosque à musique où Minnie ouvre ou bien tire le rideau, par exemple lorsqu’elle enfile un pyjama qui fait ricaner le public. La sensation de froid et de neige ne passe pas vraiment, au regard d’un vague petit tas blanc et de quelques flocons qui tombent à l’arrière et d’autres projetés, à grand bruit, pendant quelques secondes par un ventilateur puissant. On préfère les multiples cordes qui descendent des cintres, ainsi que Ramerrez qui monte à bonne hauteur sur l’une d’elle, après avoir été blessé par un coup de feu. Quand Jack Rance s’aperçoit des gouttes de sang qui tombent, la partie de poker avec Minnie a ensuite lieu sur un tabouret, seul élément de mobilier de la cabane. Le dernier acte reprend, sur ce plateau tournant, les ingrédients du premier, vus par l’arrière, avec davantage de morceaux de panneaux blancs qui peuvent faire penser à une banquise. Les mineurs en chasse de Ramerrez sont masqués et maquillés, pour la plupart, comme des Indiens, formant une foule particulièrement surexcitée, avant que Minnie ramène le calme final… occasion pour Rance de pointer son pistolet sur la tempe. Précédemment, les costumes de Dinah Ehm se situent dans l’imagerie traditionnelle de La fanciulla, Minnie mise à part qui entre en scène en robe, cape et bottines dorées à la manière d’une star hollywoodienne ; on a également très chaud pour le shérif Jack Rance vêtu d’un long manteau en peau de bête…

Du point de vue vocal, la représentation est d’abord portée par la splendide Minnie de Chiara Isotton aux aigus puissants, glorieux et d’une extrême justesse. Mais le soprano est aussi capable d’alléger son instrument, toujours dans une fine musicalité, afin d’émettre de somptueux aigus filés. Le jeu est crédible, un peu décalé en raison des costumes pendant les deux premiers actes, tandis que c’est bien une Minnie à pistolet, bottes et chapeau de cowgirl qui investit le plateau au dernier acte. En bandit de grand chemin, Riccardo Massi tient son rôle avec vaillance, dans un volume plutôt modéré dans le médium mais qui s’épanouit avec un plus grand éclat sur les notes les plus aigües, passant ainsi sans problème au-dessus de l’orchestre. Le style, tirant par instants vers le larmoyant, est élégant et soigné, comme au cours de son grand air de l’Acte III, Ch’ella mì creda libero e lontano [lire nos chroniques de Tosca à Paris et de La Gioconda à Marseille]. Troisième personnage principal, Jack Rance est incarné par Claudio Sgura, très impressionnant par sa haute stature. Baryton au timbre de belle qualité, il manque d’un peu de brillant et de puissance sur la plus haute partie du registre [lire nos chroniques de Tosca à Gênes, La Gioconda à Paris, La fanciulla del West, Amleto et Samson et Dalila].

Les rôles plus secondaires sont très nombreux, chacun et chacune n’ayant que peu à chanter quoique participant à la bonne tenue globale de la représentation. On apprécie ainsi Robert Lewis (Nick), un peu plus sollicité que ses autres confrères ténors Léo Vermot-Desroches (Harry), Valentin Thill (Joe) et Zwakele Tshabalala (Trin). Les clés de fa sont également bien en place, en particulier au cours du premier acte rythmiquement très piégeux : les barytons Allen Boxer (Sonora), Ramiro Maturana (Bello), Florent Karrer (Happy), Paweł Trojak (Jack Wallace), les basses Rafał Pawnuk (Ashby), Matthieu Toulouse (Sid), sans oublier le baryton-basse Pete Thanapat (Larkens). Dans ce monde presqu’exclusivement masculin, le mezzo Thandiswa Mpongwana (Wowkle) impose avantageusement une belle voix ronde dans sa balade du II.

Directeur musical de la maison, Daniele Rustioni assure une nouvelle fois une prestation remarquable. Sous sa baguette, la musique prend une ampleur assez considérable par moments, un souffle bien en ligne avec le drame sur scène, dès les premières mesures de l’Ouverture où percussions et cuivres ne perdent pas une seconde pour servir avec grandeur la partition. Dans les passages mélancoliques et plus intimistes, en particulier pendant le premier acte où certains repensent à leur vie d’avant, les instrumentistes se font plus doux, voire produisent une musique caressante. Préparé par Benedict Kearns, le Chœur de l'Opéra national de Lyon fait également un sans-faute, vigoureux et enthousiaste dans les montées des climax.

IF