Chroniques

par irma foletti

La clemenza di Tito | La clémence de Titus
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra de Monte-Carlo
- 26 janvier 2025
"La clemenza di Tito" (Mozart) à l'Opéra de Monte-Carlo...
© opéra de monte-carlo

En coproduction avec le Kongelige Teater et la Staatsoper de Hambourg, le spectacle mis en scène par Jetske Mijnssen [lire nos chroniques d’Orfeo, La divisione del mondo et Maria Stuarda] est accueilli par l’Opéra de Monte-Carlo, en salle Garnier. La réalisation se révèle de facture globalement classique, avec toutefois quelques touches originales. Ainsi, dès avant la première note de musique, une voix féminine enregistrée délivre, en français puis en anglais, un bref résumé de l’intrigue, en prenant le parti que l’ouvrage aurait pu être dénommé La vengeance de Vitellia … soit. Le rideau se lève sur le décor unique de Ben Baur, constitué de hautes parois brunes ou grises selon les éclairages en clair-obscur de Bernd Purkrabek. La paroi du fond est ajourée en forme de cadre de scène et différentes cloisons prennent place à l’arrière, dont certaines qui portent successivement les mots DELIZIA au premier acte, TRADIMENTO au second, avant une CLEMENZA, somme toute attendue.

Le début du spectacle met en présence les six protagonistes réunis autour d’une table, ainsi qu’un personnage féminin supplémentaire qui charme par sa danse, vraisemblablement Berenice évoquée par le livret, rôle muet qui disparaît rapidement puis revient pour la conclusion. La réalisation insiste sur la densité du jeu théâtral, les protagonistes étant souvent submergés par leurs sentiments. On gardera en mémoire certaines images fortes, comme l’incendie du Capitole, en fin de premier acte, avec deux lignes de flammes qui réchauffent l’auditoire, ou bien encore Sesto creusant sa tombe au second acte, en même temps qu’il chante l’air Deh per questo istante, en présence de Tito. Mais le trou béant change de destination pour l’heureux dénouement final : on y plante un arbre, avant que Tito ne se tire une balle dans la tempe. Ce choix de mise en scène remet violemment en cause la liesse générale et fait d’abord lever les yeux au plafond, comme premier réflexe ! Mais, après tout, Tito n’a-t-il pas été trahi par ses amis les plus chers, Sesto et Vitellia en tête ?

Une annonce est faite avant le début, qui concerne le rôle-titre, défendu par Giovanni Sala [lire nos chroniques de Stiffelio et de Macbet]. Le ténor italien, qui se trouve malheureusement, depuis la matinée, dans un état grippal, a néanmoins tenu à assurer la représentation ; une certaine indulgence est donc demandée au public. L’auditeur est rassuré à l’écoute de son premier air, Del più sublime soglio, donné d’une voix ferme et conduit avec élégance dans les longues phrases. On détecte tout de même une souplesse limitée dans les passages d’agilité, déficit mis encore plus en évidence dans Se all’impero, amici Dei, au second acte. Mané Galoyan est une Vitellia à l’instrument séduisant et très musical, soprano doté d’une réserve particulière de puissance dans le registre aigu, tandis que l’abattage des passages fleuris reste modeste. La voix n’évoque pas spécialement l’agressivité, voire la violence qu’on associe d’ordinaire à la méchante de l’histoire.

Étoile en sa demeure, Cecilia Bartoli, directrice de l’Opéra de Monte-Carlo, ne déçoit pas en Sesto, mettant beaucoup de sentiment dans son interprétation. Le mezzo italien conduit avec maîtrise le vibrant Parto, ma tu ben mio, accompagné par une clarinette virtuose. La fin de l’air, nettement plus fleurie, montre les limites actuelles d’agilité, mais le métier de cette fine artiste maintient la qualité. L’air du second acte, Deh per questo istante solo, impressionne plus encore, livré dans une délicate mezza voce succédant à une introduction orchestrale d’une extrême douceur.

Dans le rôle nettement moins développé de Servilia, Mélissa Petit développe une jolie ligne vocale, ajoutant par endroits quelques suraigus, comme dans l’air agréablement aérien S’altro che lacrime per lui non tenti [lire nos chroniques de Flavius Bertaridus, Almira, Fidelio et La dame blanche]. Notre préférence va cependant à l’Annio d’Anna Tetruashvili, mezzo-soprano d’une précieuse pulpe vocale. Même si la puissance ne paraît pas démesurée, l’intonation est d’une extrême précision, le style élégant et le souffle long. Quant au Publio de Péter Kálmán [lire nos chroniques de Giulio Cesare in Egitto, Fierrabras, Norma, Il barbiere di Siviglia et Il trittico], difficile de se prononcer lorsqu’on constate que son seul air, Tardi s’avvede d’un tradimento, est supprimé pour la représentation du jour, l’ensemble des diverses coupures effectuées amenant à une durée de deux heures de musique.

Placé sous la direction de Gianluca Capuano, l’ensemble Les Musiciens du Prince-Monaco joue la partition avec vivacité et énergie, amenant de forts contrastes de nuances. On entend dès l’Ouverture un tempo particulièrement rapide, ainsi qu’un son de nature baroque, aux cuivres moins brillants que ceux d’un orchestre moderne, et qui se fondent davantage dans l’ensemble de la phalange. On relève quelques petites surprises, également, comme le pianoforte qui joue constamment, non seulement pour les récitatifs secs mais pendant les airs. Le chef se met aussi au service des solistes vocaux, ralentissant nettement pour les passages rapides de Vitellia, par exemple. La qualité des instrumentistes se maintient tout du long, sauf à certains brefs passages pour les cuivres ainsi que dans l’accompagnement rapide de la clarinette basse, moins virtuose que celui de la clarinette citée plus haut. Enfin, le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo fait un sans-faute, très précis sur les attaques et homogène, répondant idéalement aux demandes de nuances forte-piano.

IF