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Chroniques
La bohème
opéra de Giacomo Puccini
On l’avoue, on n’allait pas tellement voir cette énième reprise de La bohème à l’Opéra Bastille pour sa mise en scène. Signée Jonathan Miller, elle passe encore très honnêtement l’épreuve du temps, sans pour autant révolutionner l’art de la mise en scène – et ce, dès sa création en 1996. C’est par l’affiche alléchés qu’on allait voir cette Bohème. Jugez donc : une guest star de luxe à la voix d’or interprétant une poule de luxe au cœur d’or : Natalie Dessay dans Musette, son premier rôle puccinien, peut-être son dernier, la « seule chance de [s]a vie de chanter du Puccini » ! Au fil des ans, sa voix mûrissant, le soprano entend se tourner vers des rôles plus lyriques. Ainsi d’uneTraviata tentée à l’Opéra de Santa Fé et annoncée prochainement au Japon, à Aix, Vienne, ou encore Barcelone. Pour en avoir écouté un extrait sur France Musique, on n’est pas sûr que le volontarisme suffise à faire d’un lyrique-léger un soprano lyrique... mais en tout cas, ici, dès son apparition au Café Momus, tous les atouts qui font la marque de fabrique et le succès de Natalie Dessay sont au rendez-vous : la présence scénique, la voix perlée, reconnaissable entre toutes, précise, pleine, la personnalité enjouée qui tire ses comparses vers le haut dans le plaisir de chanter et de jouer.
On aurait presque pu s’arrêter là, satisfait de cet excellent niveau d’interprétation. Mais – bonheur ! – alors que le haut de l’affiche en avait d’abord éclipsé le reste, sur le papier du moins, on découvre sur scène une distribution vocale tout à l’avenant, à tel point que de Mimi, de Rodolphe ou de Colline, on ne sait plus où donner de l’oreille.
C’est d’abord l’autre rôle féminin, Mimi, incarnée par Tamar Iveri, que l’on avait déjà entendue à Paris dans Don Carlo. Si elle avait déçu alors [lire notre chronique du 4 juillet 2008] non par sa voix mais par sa peine à chanter pour le public plutôt que pour elle-même, ce défaut ne se retrouve absolument pas dans La Bohème. S’y révèle une voix charnue qui sait émouvoir, une technique solide, une ligne impeccable, qualités idéales pour Mimi.
À ses côtés, on retrouve celui qui était aussi son partenaire dans Don Carlo : Stefano Secco (Rodolfo). On a toujours un petit faible pour le matériau vocal de ce ténor : sur certaines notes, placées exactement au bon endroit, le timbre est somptueux. On aimerait qu’il use moins de voix de tête (qui entraîne une déperdition de timbre et de projection) pour faire sonner son médium concentré et riche d’harmoniques. Hélas, on doit bien admettre que le principal défaut de l’Italien ne tient pas à sa voix mais à son absence de charisme qui le rend peu crédible dans le rôle de Rodolphe, surtout si on le compare à Ludovic Tézier (Marcello), romantique en diable, et qui offre à Natalie Dessay un partenaire à sa hauteur. Comme d’habitude, le baryton déploie un timbre magnifique, des couleurs chaudes, une projection ample qui font de chacune de ses apparitions un vrai régal. Parmi ce plateau de haut niveau, on a également plaisir à écouter David Bizic (Schaunard), repéré alors qu’il était encore étudiant au Centre de formation lyrique de l’Opéra, et Giovanni Battista Parodi dans Colline.
Quant à l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, conduit par Daniel Oren, il commence tambour battant, au point qu’un instant l’on craint qu’il se délite. C’est le contraire qui se produit : le chef laisse respirer la partition et distille un lyrisme qui jamais ne tombe dans la boursouflure, tout en sachant s’amuser à bon escient pour pointer les moments d’humour de la musique de Puccini. Porté par cette excellente distribution musicale, l’opéra libère son charme. Et on a beau avoir vu la pièce des dizaines de fois, l’avoir écoutée des centaines, on écrase toujours une petite larme à la mort de Mimi.
IS