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Chroniques
l’Ensemble Intercontemporain en Catalogne
œuvres de Mantovani, Ligeti, Eötvos et Berio
L’Ensemble Intercontemporain a traversé la chaîne pyrénéenne pour une soirée avec le soprano canadien Measha Brueggergosman et sous la direction de Péter Eötvös. Les Danses interrompues de Bruno Mantovani ouvrent le bal. Cette suite est écrite pour six instruments : flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle et piano. La succession d’esquisses chorégraphiques rappellent le procédé à l’œuvre dans la Valse de Ravel où les motifs rythmiques sont d’abord noyés dans un maelström avant d’éclore. Ici, les boutons débourrent sans jamais s’ouvrir entièrement. Jeu saccadé au piano, pépiement du piccolo, tempi suspendus et silences rampants animent tour à tour le propos du compositeur.
Le Concerto de chambre est composé par György Ligeti au milieu des années soixante, pour un ensemble orchestral de treize instruments, dont un clavecin. Si la formation évoque le concerto grosso baroque, l’univers harmonique reste éloigné de toute mélancolie nostalgique que l’on trouvera dans le collage stylistique de Schnittke une décennie plus tard. Au cours des quatre mouvements, le musicien hongrois expérimente les micro-intervalles et leurs effets cinétiques. Après le pétrissage de la masse sonore dans le premier et un second plus lent, c’est particulièrement sensible dans le troisième, construit sur des pizzicati à la polyrythmie croissante. La virtuosité instrumentale se retrouve dans le dernier mouvement avec la succession rapide de trilles.
Après ces deux hors-d’œuvre instrumentaux, le troisième fait entrer en scène Measha Brueggergosman, pieds nus. Snatches of a Conversation (Fragments d’une conversation) de Péter Eötvös est écrit pour trompette en do, ensemble instrumental et dispositif électroacoustique. Le soprano répète d’une voix feutrée, presque chuchotée, that changes the subject, tandis que le reste de la formation fait entendre des sonorités apparentées au jazz. Le dispositif informatique transforme le son du clavier, situé au fond de la scène, et amplifie le reste de l’effectif orchestral, créant une tridimensionnalité élémentaire.
L’entracte consommé, l’assistance est prête pour le chef-d’œuvre, Recital I (for Cathy). Luciano Berio a écrit cette pièce virtuose pour son épouse, la cantatrice Cathy Berberian. Le plateau est divisé en deux : d’un côté le piano et le pupitre du soprano, de l’autre l’effectif instrumental plongé dans une pénombre bleutée. Toujours déchaussée, la diva nord-américaine – dont nous avions salué la prestation dans cette même œuvre il y a trois ans [lire notre chronique du 28 novembre 2008] – réalise une performance extraordinaire, à la croisée du chant et du théâtre. C’est d’ailleurs ainsi que le compositeur a conçu sa partition, mi-récital, mi-leçon de chant (mi-master classe), où l’interprète oscille entre la résolution et le découragement. Les citations se succèdent, de Monteverdi, avec le Lamento d’Ariana réorchestré dans des couleurs presque crépusculaires, au Pierrot lunaire de Schönberg, en passant par la mélodie française, le Lied allemand ou une citation du finale du Concerto pour violon en ré majeur de Brahms.
Quatre siècles de tradition musicale se bousculent, de fragments en échos. Une telle multiplicité référentielle mène à son terme l’esthétique initiée par Mahler et dont Chostakovitch avait repris le flambeau. La modernité musicale se constitue dans l’éclatement stylistique et le regard nostalgique vers une histoire menacée par le silence. L’humour reste toujours au voisinage de l’émotion. Measha Brueggergosman révèle un art consommé dans ces changements continuels de registre. Chaude et colorée, la voix passe du murmure à l’éclat, du parler au lyrique, avec une fluidité et une perfection exemplaires. La musique contemporaine se fait alors universelle.
GC