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Chroniques
L’elisir d’amore | L’élixir d’amour
opéra de Gaetano Donizetti
Au printemps 1832, le Teatro della Canobbiana de Milan offre à un public vite conquis la création du nouvel opéra écrit par Gaetano Donizetti, alors compositeur à la mode : une comédie lyrique pour laquelle Felice Romani a adapté Le philtre, livret français du productif Eugène Scribe que mit en musique le Parisien Daniel Auber. Le succès est au rendez-vous. Cent quatre-vingt ans plus tard, l’Opéra de Lausanne, qui retrouve ses murs après des années d’une complète restauration, décide de choisir cet ouvrage pour la réouverture de son théâtre.
Un choix assurément judicieux, s’il est vrai que dans cette aimable paysannerie musicale, allègrement troussée côté texte, le jeune Gaetano laisse courir une plume fine, frémissante, plaisante, campant avec bonheur un quatuor de personnages aussi pittoresques que musicalement bien dessinés : la jeune et riche propriétaire terrienne un brin capricieuse, le jeune paysan naïf (forcément) amoureux de la belle, le sergent bellâtre en garnison dans le village, enfin le charlatan médical ambulant, à l’impressionnant bagou – sans oublier la copine de la belle.
Reste, évidemment, à visualiser, narrer, raconter tout cela, domaine où des générations de metteurs en scène on joué « à fond » la carte rurale, entrecroisant les trois composantes de base, soit amour, argent et vin. Adriano Sinivia n’y manque pas, mais avec une touche aussi personnelle que bienvenue, bien traitée et bien conduite. Minuscules entités humaine perdues au milieu d’un champ de maïs géants prennent ici des allures de grands arbres, les personnages sont ramenés au niveau du sol. Ils s’y fraient un passage, récupèrent et recyclent tout ce qu’ils peuvent obtenir des (grands) hommes. Mais, au ras du sol aussi, sous un vieux tracteur (qui, du coup, paraît géant), on peut vivre, souffrir, aimer. Du travail imaginatif, drôlement et alertement mené, dans les décors imagés de Cristian Taraborrelli, sous les éclairages bienvenus de Fabrice Kebour et dans les costumes assez laids d’Enzo Iorio.
L’ouvrage offre aux belcantistes une véritable mine. C’est avant tout le cas pour l’Adina chantée à la perfection et jouée de même par Olga Peretyatko. On ne sait trop ce qu’il faut évoquer en premier, de la voix claire, musicale, agile, à l’égale beauté sur toute l’étendue du registre, du medium large, développé et velouté, du timbre flatteur, riche et bien modulé, avec un plumage qui égale le ramage, de surcroît [lire notre chronique du 24 février 2012]. Seule ombre au tableau, l’excellent soprano, aux arie de rêve, se voit contrainte d’interpréter presque seule sa partie dans les duos avec son ténor d’amoureux. Que dire, en effet, du quasi désert vocal que présente l’interprétation de Stefan Pop ? Engloutie dans les lipidités abdominales la voix est terne, fatiguée, dépourvue de volume, manquant de nuances ; les vocalises sont incertaines et les graves chevrotants.
Par chance, notre Adina prend sa revanche et retrouve de véritables chanteurs, lors des scènes et duos avec les deux autres mâles du quatuor. Avec le Belcore de George Petean d’abord, sûr de la justesse et de la solidité de ses moyens, musicaux à souhait, de plus excellent comédien ; avec le pittoresque Dulcamara de Lorenzo Regazzo, sa musicalité extrême, son intelligence dramatique, son art de cultiver avec bonheur le bel canto. À ce cénacle l’on peut ajouter la Giannetta d’Eva Fiechter, la belle vigueur des chœurs maison, surtout côté féminin, la finesse, l’élan mais aussi le fondu des divers pupitres de l’Orchestre de l’Opéra de Lausanne, mais encore la direction aussi attentive que frémissante de maestro Jesús López-Cobos, très à l’aise dans ce répertoire.
Un bon redémarrage « à la maison » de la nouvelle saison conçue par Éric Vigié.
GC