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L’arbore di Diana | L’arbre de Diane
dramma giocoso de Vicente Martin y Soler
C’est peu dire que Vicente Martin y Soler eut son heure de gloire. Comme nous le rappellent les notes de programme, le natif de Valence multiplie les créations à succès : vingt représentations pour Il burbero di buon cuore [lire notre critique du DVD], cinquante-cinq pour Una cosa rara (1786) et soixante-cinq pour L’arbore di Diana, représenté en alternance au Burgtheater de Vienne du 1er octobre 1787 au 3 mars 1791 – quand Don Giovanni et Le nozze di Figaro en totalisent seulement cinquante-huit à eux deux. Outre sa reprise au début du XIXe siècle dans ce même théâtre, ce dramma giocoso en deux actes fait l’objet d’une version Singspiel, Der Baum der Diana, dès 1788 et d’une quarantaine de productions européennes différentes jusqu’en 1819.
Avant l’arrivée du rôle-titre, Amore informe le public du pouvoir de l’arbre à pommes d’or qui embellit le jardin des délices de la déesse : « Chaque jour, Cinthia passe sous cet arbre, ainsi que ses nymphes, une à une. Celui-ci s’illumine tout entier, chante et résonne lorsque passent celles qui sont chastes, mais s’il arrive que l’une d’elles s’est prise d’une flamme amoureuse, il fait le contraire : il la bat, la défigure et la maltraite ». Au final, victime d’un dieu plus puissant qu’elle, la vertueuse chasseresse récapitule sa sale journée : « Le destin m’a donné un libertin pour gardien de l’arbre. J’ai trouvé des hommes dans le jardin. J’ai pris sur le fait l’infidèle Britomarte. […] Je crains d’être amante moi-même ».
Comme cet anonyme détaillant à un ami de Prague, où l’ouvrage est donné trois mois après sa création, cette « abominable rhapsodie d’équivoques, de saleté et d’horreurs », certains sont choqués qu’elle accompagne les noces de Marie-Thérèse d’Autriche, nièce de l’empereur Joseph II. Mais derrière la pastorale érotique, premier texte originale de Lorenzo Da Ponte, il faut lire une critique de la morale rigide instaurée par l’ancienne impératrice et la célébration de réformes éclairées mises en place par son fils (comme la fermeture de centaines de couvents contemplatifs). À titre anecdotique, signalons qu’une brouille pour raisons financières éloignerait compositeur et librettiste, le premier s’éteignant à Saint-Pétersbourg (1806), le second à New York (1838).
Donnée à Barcelone en octobre 2009 [lire notre critique du DVD] puis à Madrid six mois plus tard, cette coproduction confiée à Francesco Negrin continue de dérider le public sans vulgarité, dans le décor unique truffé d’ouvertures secrètes conçu par Rifail Ajdarpasic et Ariane Isabell Unfried. Les chorégraphies sont signées Thomas McManus. Délaissant les instruments d’époque pour trois représentations à la tête de l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, Fabio Biondi conduit aisément l’œuvre avec nuance. Certains climats sont particulièrement tendres, tel ce chœur des génies vers la fin du premier acte.
Côté solistes, Charles Workman, Silvio sonore mais instable en couleur comme en soutien, et Steve Davislim, Endimione d’une brillante délicatesse, sont rejoints par Giorgio Caoduro, Doristo sûr et vaillant qui intègre l’équipe d’origine. Laura Aikin fait place à Ekaterina Lekhina, soprano à la voix ample qui gagne lentement sa rondeur, pour se jouer de vocalises très applaudies. La bonne surprise vient aussi d’un trio de nymphes des moins effacés : Maria Hinojosa Montenegro, Britomarte sombrement onctueuse, Marisa Martins, Clizia souple autant qu’expressive, et Gemma Coma-Alabert, Cloe de caractère. Pour son Amore agile et drôle, Michael Maniaci reçoit une ovation méritée. Notons que plus d’un ici, outre celles de Mozart et de Vivaldi, défend la musique de contemporains (Chin, Martí, Résina, Saariaho, etc.).
LB