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Chroniques
Léo Warynski dirige l’Ensemble Multilatérale
Pasquale Corrado, Matteo Franceschini, Eva Reiter et Fausto Romitelli
Il revient cette fois à l’Ensemble Multilatérale de se produire dans le cadre de ManiFeste, le festival annuel de création de l’Ircam. Notre troisième rendez-vous avec cette édition 2024 (qui, elle, en proposa plus) a lieu dans la Grande salle du Centre Pompidou où le dirige Léo Warynski. Deux premières françaises sont à l’affiche, ainsi que la création mondiale de la nouvelle version d’un opus de la compositrice autrichienne Eva Reiter.
Pour commencer, nous retrouvons le regretté Fausto Romitelli (1963-2004) et son passionnant Amok Koma, une page de 2001 pour flûte, clarinette, clarinette contrebasse, percussions, piano, claviers, violon, alto, violoncelle et électronique, créée à l’automne de cette année-là par Mark Foster à la tête de L’Itinéraire, au festival MANCA. Nous en goûtons une lecture très soignée, vaillamment plastique, pour ainsi dire, dont l’énergie emporte loin l’écoute [lire notre chronique du 15 décembre 2011]. À l’heure où les Éditions Contrechamps publient une analyse de la pièce sans doute la plus jouée du Frioulan, le triptyque Professor Bad Trip, par le musicologue Luigi Manfrin, réentendre Amok Koma, qui plus est par une formation qui n’avait pas encore vu le jour lorsqu’il fut conçu, laisse mesurer, plutôt qu’une éventuelle distance, la proximité qui demeure avec cette partition essentielle dont aucune ride n’est venue ternir l’impact.
Élève d’Alessandro Solbiati, d’Ivan Fedele puis de Stefano Gervasoni, Pasquale Corrado (né en 1979) nous était jusqu’à lors connu à travers Grain [lire notre chronique du 20 juin 2014]. Le festival Milano Musica lui commandait récemment une nouvelle pièce pour laquelle il convoque deux voix féminines avec un ensemble instrumental (flûte, clarinette, percussions, piano, claviers, violon et violoncelle) et l’électronique qu’assure Francesco Abbrescia [lire nos chroniques des CD Fedele et Palumbo]. Inspiré de La bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges (La biblioteca de Babel, 1941), Eterno Vuoto est né le 22 mai dernier à Milan, ses interprètes étant précisément ceux de ce soir. Y sont mêlés des lignes d’Aristote (Métaphysique, IVe siècle avant J.-C.), de l’empereur stoïcien Marc Aurèle (Pensées pour moi-même, IIe siècle de notre ère), Platon (République, IVe siècle avant J.-C) et même des Ancien et Nouveau Testaments. « Ces écrits contribuent à souligner la tension entre l’immortalité de la connaissance et le vide éternel et existentiel auquel l’humanité est confrontée », explique Corrado (brochure de salle). Le mezzo-soprano Laura Muller et le soprano Ljuba Bergamelli gagnent le plateau pour servir une œuvre dont l’écriture séduit d’emblée bien qu’elle ne parvienne toutefois pas à concerner plus durablement l’écoute. Visions de Matteo Franceschini, imaginé, sur des poèmes de William Blake, pour mezzo-soprano, ensemble (flûte avec piccolo et flûte en sol, clarinette avec basse, percussion, piano, clavier, violon, alto et violoncelle) et électronique, réalisé par Manuel Poletti, nous plongera plus précisément dans une inféconde consternation par la pauvreté des procédés dont il fait usage, plafonnant bientôt dans une répétitivité convenue, voire complaisante.
Il y a quinze ans, c’est à Vienne que Konter pour flûte contrebasse en ut et bande voyait le jour. « L’approche a consisté à utiliser la flûte comme un porte-voix, au sens propre du terme. Tous les éléments percussifs mais aussi tous les sons plats et les sons ordinario ont été placés selon certaines règles respectant un alphabet sonore créé avant la composition », précise Eva Reiter (née en 1976), son auteure (même source). La référence du titre est une « scène de combat, dans le dernier tiers de la pièce ». Matteo Cesari, qui officie aujourd’hui à la création mondiale d’une nouvelle version de Konter, avec la complicité de Manuel Poletti, révèle l’intense fertilité de la recherche de la musicienne [lire notre chronique de Wächter].
BB