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L
spectacle de Caroline Marcadé
C'est en 1973 que Caroline Marcadé entre au sein du Groupe de Recherches Théâtrales de l'Opéra de Paris dirigé, par Carolyn Carlson. Dans ces murs, en 1977, elle crée un atelier de danse pour acteurs et pose les premières marques d'un travail qu'elle n'a cessé de développer depuis. En 1980, elle fonde sa compagnie, installée au Studio des Quatre Temps, à la Défense. Elle crée une dizaine de spectacles et poursuit son travail pédagogique à travers différents pays d'Europe (Angleterre, Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique). Antoine Vitez, alors directeur du Théâtre National de Chaillot, l'appelle pour travailler sur Hernani de Victor Hugo. Cette rencontre marque un tournant décisif. À ses côtés, elle commence à travailler à l'élaboration d'une dramaturgie du corps de l'acteur et revisite son propre parcours à la lumière des questions que le théâtre lui pose.
En 1989, elle entame une longue collaboration avec Alain Françon (La Dame de chez Maxim, La Vie parisienne) et participe depuis à chacune de ses créations. « Pour chaque pièce, explique-t-elle, une conduite du corps s'élabore, une grammaire de signes clairs. Rien n'est approximatif sur le plateau, tout a été méticuleusement creusé et travaillé, espace, place, rythme, respiration, silence, pour autant tout semble souple, vivant et instantané. »
En 1992, elle crée Lettres de Géorgie sur une musique de Denis Levaillant. Sa composition chorégraphique s'accompagne d'un processus d'écriture : elle produit des partitions textuelles qu'elle soumet aux danseurs et qui servent de support dramatique à chaque interprète. Jean-Marie Villégier l'appelle alors au Théâtre National de Strasbourg pour enseigner aux acteurs de l'École, puis, en 1993, Marcel Bozonnet – jadis son élève parisien assidu – lui demande de rejoindre le Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique et lui confie le département Corps et Espace. Après avoir été élève de Marcadé et son interprète pour La nuit de l'enfant au caillou – présentée au CDDB de Lorient et repris au Théâtre de la Colline en 2000 –, May Bouhada, devenue comédienne, auteur et metteur en scène, a réalisé la mise en scène de cette pièce – tout comme, cette année aussi, La fantastique histoire d'une femme au Théâtre du Rond Point.
Un univers sonore éphémère, une mouche, un bruissement d'ailes pour L qui n'est rien moins qu'un frisson, une voix attachée à un corps, L, une danseuse dans une cage, un personnage chaplinesque sur le fil sur le fil de la tragédie, L pour qui s'avancer veut dire se livrer. L est entôlée pour un meurtre, tellement seule que ses ressources sont minces, sa fragilité immense justifiée par des années contre un mur à qui elle parle, dont elle s'éloigne, pantin déglingué, pour se donner une apparente liberté ; se mouvant dans l'espace en attendant une visite qui ce jour-là ne viendra pas. Pour meubler les heures, elle pense, elle lutte ; elle n'est pas folle mais elle compte, elle fait les comptes du monde, de la vie et elle danse car la danse ne s'oublie pas et permet une évasion. Elle tourne, pianote des pieds et claquettent des talons : Fred Astaire et Ginger, pourquoi non, pourquoi plus ? En vain, rien ne vient ; six heures, les aiguilles tournent et le carillon sonne. Plus rien que le désespoir. Sa sœur ne viendra pas… elle meurt de cette attente-là.
Le personnage commence son récit au delà de la mort et nous entraîne à sa suite dans cette journée tragique ou elle est allée au bout d'elle-même. Au delà des murs de pierre, il s'agit de parler de nous-mêmes, d'arriver au cœur de l'horreur à une vérité, à ce qui nous enferme à l'intérieur de nous-mêmes, corps et esprit à distance de notre révolte et de notre poésie, devant une imparable solitude pas plus stupide dans l'éternité que dans la vie, au contraire. C'est habillée de blanc comme une mariée que, dans l'ultime supplique dansée, elle avance vers l'anéantissement. Seule marque récurrente et vivante : le rouge sang de sa traîne, marque indélébile de son passage meurtrier et de son étrange enfantement. L, libre de ton, est enfin arrivée à elle.
Se confronter au thème de la réclusion n'est pas innocent et si le jeu de Caroline Marcadé est parfois trop attendu, et trop appliquée sa volonté à nous convaincre de sa profonde souffrance, la gestuelle – par moment microscopique – parle plus à l'émotion que la démonstration vocale.
FC