Recherche
Chroniques
Johann Hermann Schein | Israelis Brünnlein
Collegium Vocale Gent, Philippe Herreweghe
En tournée européenne, les solistes du Collegium Vocale Gent présentent Israelis Brünnlein, recueil de vingt-six motets composé à la fin du premier quart du XVIIe siècle. D’inspiration religieuse, l’œuvre invite une étonnante sensualité, la parole pieuse puisant dans la faconde italienne (auf einer italian madrigalische, indiqua l'auteur). À Leipzig, la charge de cantor de la Thomaskirche existait de longue date, avant qu’on l’attribue à un certain Johann Sebastian Bach. Un autre Jean l’occupa de 1616 à 1630, dans les quatorze dernières années de sa vie : Johann Hermann Schein. Cinquième enfant d’un pasteur saxon, ce musicien est né dans les Erzgebirge en 1586 (donc un siècle avant Bach). Il est de cette même génération des génies Heinrich Schütz (1585) et Samuel Scheidt (1587) – le premier composerait d’ailleurs Das ist je gewißlich wahr pour l’office funèbre de Schein, en 1630.
Il a sept ans lorsque le père décède et que la veuve, devant laisser le presbytère au nouveau ministre, emmène sa famille chez les grands-parents, à Dresde. Le garçon chante bientôt dans la Maîtrise de la Chapelle princière où son talent le fait élire pour le prestigieux internat de l’Académie royale de Pforta qui lui offre l’instruction des élites. Il approfondit ses humanités à l’Université de Leipzig, tout en commençant à écrire ses premières œuvres, musicales mais aussi poétiques. Das Venus Kräntzlein est un volume de chœurs à cinq, six, sept ou huit voix, accompagnés par un continuo ; il paraît en 1609. Après avoir été le maître de musique du prince Gottfried von Wolffersdorff, on le nomme cantor de la Nicolaikirche et professeur à la Thomasschule, en 1614. Deux ans plus tard, le voilà cantor de Saint-Thomas. De santé précaire, il s’éteint à l’âge de quarante-cinq ans, laissant un important corpus d’hymnes, de motets, de cantates et de psaumes, répartis en plusieurs recueils – Cymbalum Sionum (1615),Opella nova (1618), Gesangbuch Augsburger Konfession (1627) –, ainsi que des madrigaux profanes (Musica boscareccia, 1621), sans oublier la danse avec le Banchetto musicale de 1617, accompagné de textes qui tiennent lieu de théorie de sa propre musique.
Bien que n’ayant jamais quitté sa Saxe natale, Schein adopte le style italien, alors considéré comme la modernité. De fait, l’on entend bien la richesse harmonique transalpine dans Israelis Brünnlein dont vingt extraits sont joués ce soir, articulés en trois parties que séparent une page pour luth solo de John Dowland (excellent Thomas Dunford) puis un choral d’orgue de Scheidt (Maude Gratton, particulièrement inspirée).
On retrouve ici des voix que l’on suit parce qu’on les aime : la claire précision du ténor Thomas Hobbs [lire nos chroniques du 20 octobre 2012, du 13 novembre 2014 et du 4 mai 2016], parfait dans ce répertoire, le soprano Hana Blažíková dont s’étoffe l’impact [lire nos chroniques du 20 décembre 2012 et du 5 avril 2015], la basse robuste de Wolf Matthias Friedrich [lire nos chroniques du 11 juin 2003, du 10 février 2010 et du 12 août 2014], arrivé cet après-midi pour remplacer au pied levé Peter Koij souffrant – félicitons le chanteur qui, sans autre répétition qu’un filage de dernière minute, s’intègre remarquablement au quintette vocal –, enfin Dorothee Mields, toujours si proche du texte auquel elle prête un timbre caressant comme aucun [lire notre chronique du 21 août 2009]. La cinquième voix de cet Israelis Brünnlein est l’alto de Robert Getchell qui, bien qu’on lui soit moins attaché, livre une interprétation de grande qualité.
La tendresse d’O Herr, ich bin dein Knecht n’a rien de dolent, avec son vigoureux insert rythmique. Le roboratif Freue dich des Weibes deiner Jugend invite la pastorale profane dans la thématique spirituelle. De fait, cette alternance fait le sel d’un recueil qui semble moins prier que proclamer ce qui est beau, ce qui est bon, dans une inflexion volontiers joueuse. Ainsi les chromatismes redoutables du canon Die mit Tränen säen s’élèvent-ils vers une vaillante opposition des affects dont la mélancolie jamais n’est plaintive. Après Ich lasse dich nicht qui paraît plus réservé, le vœu de refuge pourrait aussi bien s’adresser à Dieu qu’à l’âme sœur – Dennoch bleibe ich stets an dir. On n’en finirait pas de détailler les délices de ce programme soutenu par un continuo soigneusement dosé – Ageet Zweistra (violoncelle), Miriam Shalinsky (violone), Thomas Dunford (théorbe) et Maude Gratton (positif). Philippe Herreweghe conduit en discrète intelligence ce petit monde de grands musiciens.
BB