Chroniques

par hervé könig

Jörg Widmann | Trauermarsch pour piano et orchestre
Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks

Yefim Bronfman et Mariss Jansons
Herkulessaal, Munich
- 2 février 2018
le compositeur Jörg Widmann, dont on joue la Trauermarsch à Munich
© marco broggreve

Ce soir, nous retrouvons Jörg Widmann chez lui, c’est-à-dire à Munich, ville où il est né, il y aura bientôt quarante-cinq ans. Le 18 décembre 2014, Simon Rattle dirigeait la création mondiale de la Trauermarsch pour piano et orchestre, à la tête des Berliner Philharmoniker. Le soliste était Yefim Bronfman, et c’est lui encore que nous avons la chance d’entendre aujourd’hui, aux côtés du Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks, placé sous la direction de Mariss Jansons.

Le piano commence seul, par un motif hésitant. La trompette le rejoint, puis tout l’orchestre, dans un mouvement proche à la fois de Mahler, de Chopin, de Ravel et de Beethoven. Plus que d’un motif, c’est plus justement d’un intervalle descendant qu’il faut parler, un intervalle sur lequel toute cette marche funèbre est construite. Loin d’utiliser tout l’effectif, le compositeur bavarois fait avancer la pièce au fil de petits groupes instrumentaux que la partie de piano relie. Au premier tiers, une partie rapide du soliste plonge une nouvelle fois dans l’intervalle obsédant, puis s’en détache, avec une invention qui s’élance sur toute l’étendue du clavier, avec ses possibilités harmoniques. Clairement, l’écriture est celle d’un concerto. Une fanfare tragique, rapide, vient en souligner le caractère, provoquant une scansion répétitive. Le jeu se raréfie, comme s’il se disloquait, tandis que des sonorités oniriques le propulsent vers une autre dimension – grâce à des cuivres avec sourdines, des bois saturés et des effets particuliers aux percussions. Sans se départir de la marche, un développement presque romantique, glamour même, prend alors place, assez bref. Il introduit une section rythmique qui piétine toujours plus nerveusement sans parvenir à commencer. Le passage disparait d’épuisement, au profit d’un glas – l’intervalle obstiné, toujours – auquel est donné le dernier mot de cet opus d’une vingtaine de minutes. Après une interprétation des plus concentrées, Yefim Bronfman revient pour un bis, la tendre Romanze inquiète de Robert Schumann, extraite de Faschingsschwank aus Wien Op.26 (Carnaval de Vienne, 1839) – une transition idéale vers la deuxième partie du concert.

Sous la battue de Jansons, la douceur délicate de l’Andante de la Symphonie en ut majeur « La grande » D944 ne traine pas, construisant peu à peu une arche beethovénienne, culminant avec l’Allegro ma non troppo, martial. Sans mise en avant excessive, les parties de cors, trombones et trompettes préfigurent le jeune Bruckner, avec plusieurs décennies d’avance. La légèreté de l’accentuation, non loin d’être printanière, situe sagement l’œuvre dans son temps. Le retour du thème profite alors d’un beau regain de fraîcheur. Contrebasses et violoncelles entament avec grand relief l’Andante con moto où chantent hautbois, flûtes et clarinettes. La chaleur triste du contresujet bénéficie de cordes magnifiques. Le retour des violoncelles, pour réengager le final, donne le frisson. Le Scherzo prend des atours contrastés de bal champêtre, avec ses rondes sympathiques, ses conversations à l’écart, ses regards complices et ses ombres potentiellement querelleuses, sans allegro excessif et moins encore cette sorte de bondissement content de lui qui résume de nombreuses exécutions. La vigueur élégante de l’Allegro vivace vient conclure la symphonie dans une exaltation souveraine.

HK