Chroniques

par bertrand bolognesi

Iphigénie en Aulide
opéra de Christoph Willibald Gluck

Opéra national du Rhin, Colmar
- 4 mai 2008
Renaud Doucet massacre Iphigénie en Aulide de Gluck !
© alain kaiser

Parfois, l'actualité lyrique donne des rendez-vous qu'il ne faut pas croire. C'est le cas de cette très attendue Iphigénie en Aulide que comptent les nouvelles productions alsaciennes. En effet, à l'inverse de l'Iphigénie en Tauride, l'ouvrage reste fort rare sur nos scènes. L'on ne s'attendait certes pas à rencontrer là une réalisation aussi désolante – et à tous points de vue.

Le choix des voix surprend. L'on ne sait en quelle langue s'exprime le Calchas de Patrick Bolleire ; en revanche, l'instabilité systématique de son aigu ne fait aucun doute. Malia Bendi Merad donne une Diane tremblante et trop fragile. Si Avi Klemberg possède indéniablement une couleur intéressante pour un Achille « de salon », l'étroitesse de la voix l'empêche de nuancer, pousse son chant dans ses limites, sans souplesse. Vraisemblablement, ces artistes ne sont pas à mettre en cause : ils sont tout simplement mal distribués. Une question se pose alors ; comment furent choisies les voix ? Parmi les petits rôles se remarque le chant bien mené de Tatiana Zolotikova (l'une des Grecques) dont la fraîcheur du timbre retient l'écoute.

Andrew Schroeder– qu'on put entendre de façon nettement plus probante ici et là, lui aussi – est un pâle Agamemnon. On apprécie le moelleux de la voix, la respectable prosodie, l'élégance de la phrase et l'aigu souplement nuancé, mais la pâte vocale enferme l'impact jusqu'à le rendre sourd et lointain. Manuel Betancourt contraste généreusement en donnant un Patrocle beaucoup plus confortablement projeté, mais son français plus qu'approximatif nous fait sortir du drame. D'une voix colorée d'abord amorcée avec grande prudence, Annette Seiltgen édifie peu à peu une Clytemnestre assez présente, à travers une interprétation sensible d'une digne et belle gravité. Le bijou de l'œuvre, Par un père cruel à la mort condamnée, rencontre une voix soudain pleine, tandis que Jupiter, lance la foudre laisse s'affirmer des harmoniques plus riches qu'on l'aurait cru. Remarquablement posé, magistralement intelligible et généreusement sonore, l'Arcas de René Schirrer laisse mesurer la petitesse des formats convoqués ; on regrette que la partition n’accorde guère de profiter de ses qualités. Enfin, en princesse héritière « tout-à-fait-comme-il-faut », Cassandre Berthon use à merveille de la lumière de son registre haut, d'une présence dramatique efficace et d'une vocalité agile.

À la décharge des chanteurs, on allèguera la lecture deClaude Schnitzler à la tête de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse. Si l'Ouverture demeure sainement contrastée, sans abuser d'une accentuation trop maniérée, l'équilibre entre plateau et fosse est vite malmené. On ne comprend guère la lourdeur de cette interprétation qui couvre souvent les voix (petites, certes). L'écriture de Gluck ne serait-elle pas « nuançable » ? Contre toute attente, le soin apporté à l'introduction de Par un père cruel à la mort condamnée (Clytemnestre, Acte II) est une trêve heureuse et remarquablement aérienne dans ce « trop-fort » continu. Les artistes des Chœurs de l'Opéra national du Rhin ne déméritent pas, bien que surprennent de nombreux décalages rythmiques, vraisemblablement dus à l'encombrement scénographique qui complique la visibilité de la battue.

Il est à peu près impossible de goûter une production où tout irait presque bien ; il l'est autant d'avoir à se lamenter d'un spectacle globalement mauvais. L'utilisation du mot miracle est unique, de même que celle de l'expression française faire un miracle ; la proposition de Renaud Doucet en fait pourtant plusieurs… Dans une immersion hésitant entre Vingt mille lieux sous les mers et La petite sirène, le décor encombrant d'André Barbe ne comprend pas les dimensions de la scène. Il ne paraîtra pas superflu de rappeler que les spectacles commandés par l'Opéra national du Rhin sont joués à Strasbourg, Mulhouse et Colmar : il convient donc aux metteurs en scènes et à leur équipe de concevoir des productions s'adaptant aux contingences des différents lieux investis par l'institution qui les sollicite.

Au delà de ces constatations, une vision capricieuse arborant des choristes en tenues de camouflage bleu-océan, sorte de crevettes d'eau douce travesties en méduses, transforme Calchas en clergyman qu'une bible jamais ne quitte : comment concilie-t-elle le monothéisme puritain qu'elle évoque au culte des dieux auquel se réfère sans cesse le livret ?

Ce mystère est du même ordre que l'option d'une figuration contemporaine (costumes du même André Barbe) qui se meut pourtant dans une gestique antique. Sans se prononcer quant à la réussite plastique du projet, on en gardera le souvenir d'une déambulation générale inepte laissant les chanteurs livrés à eux-mêmes, de la présence d'éléments lourdement démonstratifs l’ancre rivée au sable qu’on soulève pour le happy end, par exemple, ou encore le petit Oreste poignardant sa mère juste avant le baisser de rideau. Il est navrant que, sans même oser espérer qu'elle s'interroge sur la portée spirituelle du mythe, cette mise en scène croupisse dans tant d'erreurs de théâtre.

BB