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Le London Symphony Orchestra prend sa part à l’odyssée mahlérienne, ayant enregistré en live pour son propre label l’intégrale des symphonies sous la baguette de son directeur musical, Valery Gergiev. De même que le concert de ce midi [lire notre chronique], le programme du soir réunit deux œuvres appartenant aux deux pôles du processus créatif de Mahler souvent associées au disque pour de banales questions d’optimisation du format. La reprise de ce schéma au concert ne doit cependant pas arrêter l’auditeur à ces spéculations, mais lui donner l’opportunité d’envisager à nouveaux frais les deux partitions ainsi juxtaposées.

Joué en première partie de soirée, l’Adagio de la Symphonie en fa dièse majeur n°10 – donnée dans la reconstitution de Deryck Cooke il y a deux jours [lire notre chronique du 20 mai 2011], sonne comme un prélude. Main gauche vibrante d’émotion, son tremblement qui sans doute encourage les instrumentistes à la souplesse ne perturbe guère la tenue des pupitres. Présenté isolément, suivant la tradition qui longtemps prévalut de n’interpréter que la pensée musicale portée à son terme par l’auteur, la partition peut révéler son visage de modernité sur lequel le chef russe ne semble pas s’appesantir. L’intention de bouleverser n’était peut-être pas absente, mais le résultat, tout en évitant le marbre, demeure un peu lisse.

Avec la Symphonie en ré majeur n°1, on rejoint l’enthousiasme de la jeunesse et l’hommage à la période passée à Leipzig – la partition fut composée à ce moment-là. Après avoir hésité sur la structure de l’œuvre, Mahler abandonna en 1893 le mouvement Blumine (qui sera présenté mercredi prochain), s’en tenant à la structure quadripartite consacrée. Pour autant, l’allégeance à la tradition s’arrête là, pourrait-on dire. On a répété, suivant Bruno Walter, que c’était l’œuvre la plus subjective de son compositeur, lequel a puisé son inspiration dans son cycle des Lieder eines fahrenden Gesellen.

Le mouvement initial, Langsam, schleppend -Im Anfang sehr gemächlich (lent, traînant -au début sans se presser), commence dans des nébulosités harmoniques avant que, la trompette ayant retenti, se déploie le thème insouciant emprunté au second chant du cycle cité, Ging heut morgen übers Feld Les qualités de transparence et de souplesse de l’orchestration se font entendre. Le mouvement suivant est un scherzo, Kräftig bewegt, doch nicht zu schnell (animé avec force, mais pas trop vite). L’indication rythmique signale d’emblée l’ambiguïté de la page, typique du génie mahlérien. Le tempo est celui d’un Ländler, cousin populaire et rustique de la valse. Cette figure se retrouvera dans la plupart des symphonies ultérieures. L’ambivalence émotionnelle et l’hétérogénéité du matériau perceptible dès le premier mouvement se retrouvent de manière exemplaire dans le troisième, Feierlich und gemessen, ohne zu schleppen (solennel et mesuré, sans traîner). Le premier thème parodie la mélodie de Frère Jacques, tandis que le deuxième fait s’animer ce défilé légèrement grotesque au rythme d’une marche cotillonnée de syncopes. Le troisième épisode réutilise le matériel de Die zwei blauen Augen von meinem Schatz (dernier Chant d’un compagnon errant), qui lui imprimant une mélancolie lasse et désabusée.

Le finale est un morceau de bravoure où la violence se transforme progressivement en explosion de joie. L’énergie de ce mouvement noté Stürmisch bewegt (passionnément animé) éclate avec le coup de cymbales. Nombre de chefs en expose la vigueur avec un enthousiasme communicatif et recueille celui du public. La main gauche de Gergiev s’est stabilisée et l’élan de la partition ne fait pas l’économie d’un rugissement parfois bruyant, érodant la richesse de sa vitalité. Les cordes n’apportent pas assez de résistance à la rutilance des cuivres. L’orchestre se fait masse sonore et le triomphe du héros une issue salvatrice à cette débauche un peu débraillée de décibels.

GC